Napoléon a-t-il été empoisonné?

Circonstances de la mort de Napoléon

Le 1er mai 1821, il s’était levé ; mais une faiblesse l’obligea à se faire recoucher. Il avait fait placer en face de son lit le buste de son fils, sur lequel il avait constamment les yeux fixés. Le 3 mai, les symptômes devinrent plus alarmants. Le 4 mai, on eut quelque espoir. Le lendemain, 5 mai, à sept heures du matin, il balbutia « Rien à mon fils que mon nom !… Mon Dieu !… La nation française… Mon fils… ».

Le 5 mai 1821 à dix-sept heures quarante-neuf, il prononça les mots « tête… armée…» et expira, étant âgé de cinquante et un ans, sept mois, vingt jours. Le lendemain, le gouverneur de l'île, sir Hudson Lowe, bien qu'en perpétuel conflit avec son ancien prisonnier, venant en personne s’assurer de la mort de Bonaparte, a déclaré alors à son entourage : « Hé bien, Messieurs, c'était le plus grand ennemi de l'Angleterre et le mien aussi ; mais je lui pardonne tout. À la mort d'un si grand homme, on ne doit éprouver qu'une profonde douleur et de profonds regrets ».


Autopsie

D’après le désir qu’avait manifesté Napoléon, son corps fut ouvert afin de constater la cause physique de sa maladie, et de profiter dans la suite de ce document dans le cas où son fils serait attaqué de quelque incommodité offrant des analogies avec le mal qui était sur le point de l’emporter lui-même : car Napoléon était persuadé qu’il mourrait d’une maladie semblable à celle qui avait enlevé son père Charles Bonaparte.


Avant de refermer le cadavre, on en tira le cœur et l’estomac, que l’on renferma dans des coupes d’argent contenant de l’esprit de vin.

L’opération terminée, le corps fut revêtu de l’uniforme des chasseurs à cheval de la garde impériale, orné de tous les ordres que le défunt avait créés ou reçus pendant son règne, après quoi il fut placé sur le lit de fer qu’il avait coutume de faire porter à sa suite dans ses campagnes ; le manteau bleu brodé en argent qu’il portait à la bataille de Marengo lui servait de drap mortuaire.

Analyse contemporaine

Le gouverneur britannique de l'ile a diagnostiqué une mort causée par un cancer de l'estomac. De nos jours, les circonstances de sa mort ont été largement sujettes à spéculations, depuis qu'en 1961 l'empoisonnement à l'arsenic a été évoqué par un toxicologue suédois.


Un cancer à l'estomac

Une étude récente, publiée dans la revue Nature Clinical Practice Gastroenterology and Hepatology tente de prouver que Napoléon présentait une lésion gastrique tumorale compatible avec un cancer de l'estomac. Cette étude repose sur les descriptions faites par Antommarchi (médecin corse ayant pratiqué la nécropsie) dans son deuxième compte-rendu d'autopsie publié en 1825, quatre ans après l'autopsie. Or il a été récemment démontré que ce rapport d'autopsie plagie, en partie, un article médical publié en mai 1823 par le Dr Rullier dans la revue : Archives Générales de Médecine et intitulé "Note sur un petit engorgement cancéreux de l’estomac, extrêmement circonscrit, perforé à son centre, et suivi de l’épanchement des aliments dans l’abdomen". En plus d'être un plagiat le rapport de 1825 d'Antommarchi est un faux [Bastien J, Jeandel R. Napoléon à Sainte-Hélène. Étude critique de ses pathologies et des causes de son décès.


La thèse de l'empoisonnement à l'arsenic

L'auteur Sten Forshufvud proposa cette hypothèse vers 1955 en lisant les mémoires de Louis Marchand, le valet personnel de Napoléon, qui venaient d'être publiées par les descendants de celui-ci. Les symptômes décrits par Marchand ressemblaient à ceux qu’aurait causés un empoisonnement à l'arsenic.

Forshufvud obtint de sources différentes plusieurs mèches de cheveux présentées comme appartenant à Napoléon. En découpant les cheveux en petits segments et en analysant chaque segment, puis en se rapportant aux dates auxquelles ces cheveux auraient été recueillis, et en raccordant toutes ces données, il fit un histogramme indiquant l'évolution de la concentration d'arsenic dans l'organisme de Napoléon durant son exil. L'arsenic aurait affaibli Napoléon jusqu'au point où les traitements médicaux de l'époque, par exemple le calomel, l’auraient achevé.

Forshufvud rencontra une opposition ferme à cette thèse, mais en 1978 il s'associa avec Ben Weider, homme d'affaire canadien passioné par Napoléon. Ensemble ils publient Meurtre à Sainte-Hélène et font réaliser diverses analyses, notamment par les laboratoires de Harwelle, du FBI et de Scotland Yard, qui tous certifient la présence de taux anormalement élevés du toxique.


Elle n'en est pas moins sévèrement critiquée par quelques historiens français, notamment Thierry Lentz, pour qui Napoléon serait mort « de sa belle mort», voire « d’ennui », et qui fait publier avec Jean Tulard un ouvrage collectif Autour de l'empoisonnement de Napoléon où il émet des doutes sur la légitimité des échantillons de cheveux prélevés. Interviewés par ses soins et ayant pu relir leurs interviews, les docteurs Kintz et Fornès y déclarent ne jamais avoir parlé « d'assassinat » de Napoléon mais d'exposition à l'arsenic, ce qui n'est pas la même chose[3]. En avril 2009, Thierry Lentz et Jacques Macé ont publié un ouvrage sur le sujet qui met à mal la théorie de "l'empoisonnement" de Napoléon.

L'intoxication à l'arsenic

Avec le financement de Ben Weider, une analyse fut réalisée par le Dr. Pascal Kintz, président de l’Association Internationale des Toxicologues de Médecine Légale, qui considéra en 2003 que l’Empereur avait été intoxiqué à l’arsenic, un produit dont il constata la présence en doses massives, non sur la surface comme cela avait été le cas dans les analyses précédentes, mais dans la médulla, le cœur des cheveux du souverain.

Deux ans plus tard, dans les laboratoires ChemTox de Strasbourg, trois séries d'investigations furent réalisées par le Dr. Kintz sur cinq mèches de cheveux divers, provenant toutes de différentes collections répandues de par le monde: 1)Mesure globale de l'arsenic dans cinq mèches de cheveux par spectrophotométrie d'absorption atomique. 2)Localisation anatomique de l'arsenic dans le cheveu par Nano-SIMS. 3)Analyse minérale complète avec spéciation, méthode permettant de déterminer avec précision la nature du produit toxique, en l'occurrence de l'arsenic.


Avec ces nouvelles analyses, le Dr. Kintz approfondit son étude en déterminant une chronologie dans l’administration du toxique (dont les "pointes" étaient compatibles avec la symptomatologie observée et notée par les compagnons d'exil de l'Empereur), et l'indentifia comme l' arsenic minéral, le plus toxique, que l'on trouve sous forme de mort-aux-rats .

Les résultats de ces analyses furent exposés en détail par le Dr. Kintz le 2 juin 2005, à Illkirch-Graffenstaden près de Strasbourg. Dans sa Conclusion, le Dr. Kintz témoigne: « Dans tous les échantillons de cheveux de l’Empereur, l’ICP-MS a mis en évidence des concentrations massives, concentrations compatibles avec une intoxication chronique par de l’arsenic minéral très toxique. Nous sommes sans ambiguïté sur la piste d’une intoxication criminelle. »

Plus récemment, dans son article Trois séries d'analyse des cheveux de Napoléon confirment une exposition chronique à l'arsenic(24/01/2008), il ajoute: « Compte tenu de ces données scientifiques, nous pouvons conclure que Napoléon a bien été la victime d'une intoxication chronique à l'arsenic minéral, donc à la mort-aux-rats ».

Ces conclusions ont été soutenues par l’International Museum of Surgical Sciences et l’International College of Surgeons de Chicago (International Surgery nº 5, volume 92, sept.-oct. 2007).

Le 11 février 2008 l'Institut italien de physique nucléaire (INFN) des universités de Milan et Pavie conclut sur la base d'échantillons de cheveux conservés dans les musées napoléoniens de France et d'Italie ( musée Glauco-Lombardi de Parme, musée Napoléonien de Rome et musée du château de Malmaison), et mesurés par le réacteur nucléaire dédié à la recherche du centre italien, que le taux d'arsenic n'avait rien d'exceptionnel comparés aux taux observés dans les échantillons de Joséphine de Beauharnais et son fils le Roi de Rome. L'institut constate que la quantité d'arsenic observée sur ces échantillons est cent fois plus élevée que le niveau mesuré à notre époque, et observe que « L'environnement dans lequel vivaient les gens au début du XIXe siècle conduisait à l'évidence à l'ingestion de quantités d'arsenic que nous considérerions aujourd'hui comme dangereuses ».

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