L'inquisition



Au début du XIIIème siècle, face aux mouvements manichéens cathares et albigeois, l’Eglise chrétienne décide de mettre en place une institution judiciaire chargée de lutter contre l’hérésie. C’est ainsi que naît l’Inquisition. Derrière ce terme souvent associé dans les représentations contemporaines à la torture et l’arbitraire, se cache une puissance originale. Excessif ou clément, souvent contesté, ce véritable tribunal de la foi s’appuie en fait sur des rapports ambigus et complexes entre l’Eglise et les Etats.

Entre liberté de conscience et contraintes politiques

Dès qu’elle accède au statut de religion d’Etat sous Constantin, l’Eglise entretient des rapports ambigus avec l’hérésie. Conformément à sa doctrine, elle refuse que la foi soit imposée par la contrainte physique et prononce des peines spirituelles, la plus grave étant l’excommunication. Cependant, atteindre à la doctrine de l’Eglise, c’est atteindre à l’Etat et à l’empereur. Par conséquent, à la notion d’hérésie se superpose la notion de trouble social et de crime de lèse-majesté. Dès lors des châtiments physiques allant jusqu’à la peine de mort apparaissent, au nom de l’Eglise, mais souvent exécutés par l’Etat.


A la fin du XIIème siècle, l’Eglise est très présente auprès des Etats européens et constitue un lien social majeur. Cependant, malgré leurs efforts, aucun des deux ne parvient à enrayer les hérésies régionales à l’exemple des Cathares. Les principes de Bernard de Clairvaux, « la foi doit être persuadée, et non imposée », sont encore dans les esprits, mais l’hérésie et ses risques politiques guettent. En 1199, Innocent III franchit un pas avec la bulle Vergentis in senium qui met en place une procédure répressive contre les Albigeois. Sans véritable succès, elle est toutefois confirmée par le Concile de Latran en 1215. Quelques hommes d’Etats agissent en conséquence tandis que la croisade des albigeois (nom régional donné aux Cathares de la région d’Albi), de 1209 à 1229, malgré une répression violente, ne parvient pas à éliminer totalement l’hérésie.

Grégoire IX donne une nouvelle forme à la lutte de ses prédécesseurs Innocent III et Honorius III en promulguant la constitution Excommunicamus en 1231. Désormais, ce n’est plus aux évêques de surveiller l’orthodoxie mais à des inquisiteurs qui dépendent directement du Saint-Siège. Par ailleurs, la prison et la mort par le feu deviennent des instruments officiels de pénitence.

L’inquisition est née : comme son étymologie l’indique (Inquisitio signifie recherche), sa mission est à de rechercher et de punir les hérétiques. Autrement dit, elle cumule les fonctions de police et de juge de la foi.
Une apogée rapide mais de courte durée
Des inquisiteurs partent en missions dans le Saint-Empire, puis en France en 1233. A l’exception de l’Angleterre, toute l’Europe va être parcourue par ces « juges » souvent dominicains ou franciscains. Bénéficiant d’un pouvoir exceptionnel (ils peuvent excommunier les princes), ils vont de localité en localité.


Au sein de chaque région, ils convoquent souvent l’ensemble de la population. L’édit de foi oblige les fidèles à dénoncer les hérétiques. Une procédure en deux temps est alors lancée contre ces derniers :
-    Un édit de grâce est prononcé : il invite les hérétiques à se confesser et à revenir à la foi dans un délais allant de quinze à trente jours. Les peines prononcées sont alors plutôt clémentes et d’ordre spirituel : fustigation, grand pèlerinage ou entretien d’un pauvre…
-    Si les accusés ne se présentent pas au cours de ce délai de grâce, ils sont excommuniés et souvent arrêtés et jugés. Ils risquent alors la prison à vie ou la mort par le feu.

En 1252, les pouvoirs de l’Inquisition sont encore renforcés grâce à la légitimation de la torture prononcée par Innocent IV dans sa bulle Ad extirpenda.  En réalité, si l’Europe n’est pas envahie par les bûchers, certaines régions subissent une répression brutale. L’objectif principal étant la destruction de l’hérésie cathare, cette mission est réalisée dans la violence, avec notamment un bûcher de deux cents personnes en 1278 à Vérone. Dans le sud de la France, les tensions sont vives et ont notamment abouti aux meurtres de deux inquisiteurs en 1242 à proximité de Toulouse.


Mais les inquisiteurs parviennent à acquérir beaucoup de pouvoir et s’opposent même au pape. Usant parfois de la torture et des bûchers avec excès, comme en France, ils sont de moins en moins contrôlables par le Saint-Siège. L’Inquisition connaît alors son apogée mais pour peu de temps. Dès 1312, Clément IV incite à une plus grande collaboration avec les évêques. Moins de vingt ans plus tard, le pouvoir de l’Inquisition est encore réduit par Jean XXII.

De l’Inquisition au Saint-Office

Dès lors l’Inquisition poursuit son office mais sous contrôle et avec moins d’excès. Elle dépend en effet du Saint Siège mais voit aussi progressivement son pouvoir d’action diminuer avec le renforcement des justices étatiques. Cependant, elle étend son domaine aux sorcières, aux beggards… Quelques dates marquent les esprits, comme la condamnation de Jeanne d’Arc en 1430.

Au XVIème siècle, alors que la menace ne vient plus des manichéens cathares mais de la Réforme, l’Eglise se réorganise et crée la Sacrée Congrégation de l'Inquisition romaine et universelle, connue sous le nom de Saint-Office. C’est la fin de l’Inquisition médiévale et de ses moyens exceptionnels. Les Etats se chargent désormais du contrôle de leurs sujets sans avoir besoins des moyens du Saint-Siège. Ainsi, ce sont eux qui éventuellement condamnent ou persécutent les protestants.


Pendant plusieurs siècles, le Saint-Office se concentrera avant tout sur l’orthodoxie des textes et autres productions intellectuelles. C’est ainsi que l’Index, pointant les livres interdits, est mis en place et que Galilée sera condamné pour ses thèses en 1633. Sous sa forme médiévale, associée aux tortures et aux tribunaux d’exceptions, l’Inquisition n’a sévi en réalité que peu de temps, pour perdurer au XIVème et XVème sous une forme atténuée. Toutefois, tandis qu’elle disparaît au XVIème siècle au profit du Saint-Office, un cas particulier se met en place dans la péninsule Ibérique : c’est l’Inquisition espagnole.






L'inquisition espagnole


En 1479, alors que l’Inquisition médiévale vit ses dernières heures, Ferdinand V et Isabelle la Catholique fondent l’Inquisition espagnole. Cet acte de naissance illustre la particularité de cette institution : elle est sous le contrôle de l’Etat et non du Saint-Siège, même si celui-ci a donné son accord. Le contexte de la Reconquista donne également des objectifs bien précis, orientés contre les minorités religieuses que sont les juifs et les musulmans.



L’Inquisition doit participer à la conversion de force et l’expulsion de ces minorités, puis vérifier la validité de la foi des reconvertis. Cette politique est illustrée par l’expulsion des juifs en 1492. L’Inquisition est l’arme de l’épuration religieuse, qui se traduit par la « Limpieza de sangre » (pureté du sang), ensemble de mesures qui vise à écarter les non chrétiens des postes stratégiques.

Le premier inquisiteur, Thomas de Torquemada, agit avec violence et brûle deux milles personnes en l’espace de quinze ans, provoquant la réprobation du Saint-Siège. Mais son pouvoir s’étend rapidement à la condamnation des sorcières, de la magie… A partir de 1529, l’Inquisition a une autre mission : la lutte contre les protestants. Grâce à cette institution, l’Espagne résistera à la Réforme et restera fermement catholique.

Usant de la torture, faisant peser une véritable chape religieuse et culturelle sur le pays, hanté par la figure cruelle de Torquemada, l’Inquisition espagnole perdure pendant plusieurs siècles. En effet, si l’Inquisition médiévale a été repoussée au bénéfice des instruments de contrôle et de justice d’Etat, l’Inquisition espagnole, en tant que bras de l’Etat, n’a pas ce problème. Moyen de préserver les traditions, elle reste ainsi en place jusqu’à la conquête napoléonienne. Rétablie en 1823, elle ne sera supprimée définitivement qu’en 1834.





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