Bhopal

La catastrophe de Bhopal, survenue la nuit du 2 au 3 décembre 1984, est la plus importante catastrophe industrielle à ce jour. L'explosion d'une usine Union Carbide (Dow Chemical maintenant) de pesticides a dégagé 40 tonnes d'isocyanate de méthyle (MIC) dans l'atmosphère de la ville, tuant entre 4 000 et 6 000 personnes, dont 3 000 la première nuit. Son PDG de l'époque, Warren Anderson, est accusé d'homicides pour cette catastrophe et déclaré fugitif par le chef judiciaire de Bhopal le 1er février 1992 pour ne pas s'être présenté à la Cour lors d'un procès. Il vivrait actuellement paisiblement à Long Island dans l'état de New York.


Les prémices

Les installations en cause dans la catastrophe de Bhopal appartenaient à l'Union Carbide India Limited (UCIL), filiale indienne de la Union Carbide Corporation (UCC), l'un des premiers groupes chimiques américains. Leur construction avait déjà posé des problèmes de sécurité, signalés en 1982, et supposés réglés depuis.

En réduisant les frais de fonctionnement pour augmenter une rentabilité jugée insuffisante, le groupe aurait sacrifié la sécurité.


Dans les années 1960, l'Inde dont la population augmente rapidement vise l'autosuffisance alimentaire via une « révolution verte ». Les végétaux sélectionnés demandent plus d'engrais et plus de pesticides. Le projet d'UCC de construire une usine de pesticides est donc bien accueilli. Selon ses promoteurs, une production importante peut permettre de sauver près de 10% de la récolte annuelle. Une première usine est construite en 1969 dans l'État de Madhya Pradesh, au centre du pays. En 1977, le gouvernement indien exige la construction d'une seconde usine, sous peine de ne pas renouveler la licence d'exploitation de UCC.


Cette seconde usine est construite en 1978 à Bhopal, capitale de l'État comptant alors pas moins de 300 000 habitants, à 600 kilomètres au sud de New Delhi. L'usine conçue pour produire 5 000 tonnes/an de pesticides (alors que la demande en Inde n'aurait jamais dépassé les 2 000 tonnes/an), se trouve à 5 kilomètres à l'extérieur de la ville, et à un kilomètre de la gare. Elle produit du Temik et le Sevin, essentiellement composés d'isocyanate de méthyle (MIC → H3C-N=C=O), produit extrêmement toxique et allergène. Ce produit peut être rapidement neutralisé par une enveloppe de soude qui interdirait toute émanation (Union Carbide Corporation n'avait cependant pas jugé utile de faire figurer cela dans les rapports sur la sécurité de l'usine). Ce liquide très dangereux pour tous les êtres vivants est confiné à une température inférieure à 0 °C, température au-delà de laquelle il se transforme en un gaz plus lourd que l'air, aussi toxique que le chlore.


Attirée par l'eau, l'électricité et les salaires offerts par l'usine, la population va affluer autour du site industriel : la population passe à 385 000 habitants en 1971, à 671 000 en 1981, puis à près de 800 000 en 1984. Les plus pauvres s'agglutinent dans le bidonville de Khasi Camp situé entre la ville et l'usine. D'isolée qu'elle était, l'usine se retrouve englobée dans une ville dense dont les maisons ou abris les plus proches s'accrochent aux grillages d'enceinte, sans schéma d'urbanisation ni possibilité d'appliquer un système de gestion du risque industriel aux zones périphériques. L'usine ne tournera jamais à pleine capacité, signalant des incidents et accidents graves dès l'année de sa construction (1978), suivis notamment d'un immense incendie en 1978 et de cinq importantes fuites de gaz en 1981 et 1983 soldés par un mort et quarante-sept blessés, plus de 670 000 dollars de dommages. Tout cela sera passé sous silence grâce aux bonnes relations locales de UCIL : « Il est vrai que les politiciens locaux ne pouvaient rien refuser à l'Union Carbide qui leur offrait sinécures et réceptions somptueuses ». Le gouvernement indien prolongera de sept ans l'autorisation de fabrication du Sevin malgré les avertissements de la presse et de membres de l'opposition du parlement de l'État.


En 1982, une inspection détaillée fait apparaître dix déficiences sérieuses dans les systèmes de sécurité de l'usine.

À partir de 1982, l'usine devient largement déficitaire à cause de la mévente de ses produits. UCC, la maison mère, envisage sa fermeture mais le gouvernement indien refuse car cela constituerait un très mauvais exemple pour d'autres investisseurs étrangers potentiels. Pour rééquilibrer ses comptes, la filiale indienne UCIL décide alors de réduire les frais d'exploitation et, pour ce faire, licencie progressivement une partie de son personnel qualifié, dont une partie sera remplacée par des employés moins formés.

En 1984, après de multiples fermetures temporaires, deux des dix déficiences signalées en 1982 ne sont toujours pas corrigées.

Le premier incident

Le premier incident significatif a lieu le 21 octobre 1984, vers 22h : les opérateurs échouent dans leur tentative d'accroître la pression dans le réservoir 610 pour en extraire le MIC qui y est stocké.

Nuit du dimanche 2 au lundi 3 décembre

L'usine est alors partiellement fermée et tourne au ralenti avec des effectifs encore plus réduits que de coutume.

► 21 h 15 : Un opérateur de MIC et son contremaitre procèdent au lavage d'un tuyau à grande eau. Ce tuyau communique avec le silo 610 ; il semble que la vanne soit restée ouverte, contrairement aux consignes de sécurité. L'eau va donc couler pendant plus de 3 heures et environ mille litres d'eau vont se déverser dans le réservoir.

► 22 h 20 : Le réservoir 610 est rempli de MIC à 70 % de sa capacité (il contient exactement 11 290 gallons, soit environ 42 740 litres. On y mesure une pression intérieure de 2 psi (1 psi = 0,068 94 bar), valeur considérée comme normale (la pression admissible est comprise entre 2 et 25 psi.)

► 22 h 45 : La nouvelle équipe de nuit prend la relève.

► 23 h 00 : Un contrôleur note que la pression du réservoir 610 est de 10 psi, soit cinq fois plus qu'à peine une heure auparavant. Habitué aux dysfonctionnements d'appareils de contrôle, il n'en tient pas compte. Des employés ressentent des picotements des yeux et signalent aussi une petite fuite de MIC près de ce réservoir. De tels faits étant fréquents dans l'usine, on n'y prête pas d'attention particulière.

► 23 h 30 : La fuite est localisée et le contrôleur est prévenu. Celui-ci décide qu'il s'en occupera à minuit et quart, après sa pause.

► 00 h 15 : La pression intérieure du réservoir 610 dépasse la limite admissible : elle atteint 30 psi et semble continuer à augmenter.

► 00 h 30 : La pression atteint 55 psi. Le contrôleur, bravant les instructions reçues de ne pas déranger inutilement son chef de service, se décide enfin à lui téléphoner pour le prévenir. Il sort ensuite pour aller observer l'état du réservoir, qui tremble et dégage de la chaleur. Le couvercle en béton du réservoir se fend, puis la valve de sécurité explose, laissant échapper un nuage mortel.

► 01 h 00 : Le chef de service arrive, constate rapidement les fuites de gaz toxiques du réservoir 610 et fait sonner l'alarme.

► 02 h 30 : On réussit à fermer la valve de sécurité du silo 610.

► 03 h 00 : Le directeur de l'usine arrive et donne l'ordre de prévenir la police, ce qui n'avait pas été fait jusqu'alors, car la politique officieuse de l'usine était de ne jamais impliquer les autorités locales dans les petits problèmes de fonctionnement. Carbide observait la même politique aux USA.

Un nuage toxique se répand sur une étendue de vingt-cinq kilomètres carrés. La majeure partie de la population dort ou ne réagit pas au signal d'alarme. Les ouvriers de l'usine, conscients du danger, s'enfuient sans utiliser les quatre autobus garés dans la cour. Il est difficile de prévenir les autorités car les lignes téléphoniques de l'usine fonctionnent mal.

La panique s'étend à toute la ville et, dans la plus totale incompréhension, des centaines de milliers de personnes sont prises au piège, errant dans les ruelles étroites du bidonville, cherchant des secours qui tarderont à se mettre en place. Le gaz attaque d'abord les yeux, entraînant une cécité, provisoire dans les cas favorables, avant de s'engouffrer dans les poumons pour provoquer de graves insuffisances respiratoires. Les trois cent cinquante médecins de la ville qui peu à peu se mobilisent perdent du temps à comprendre ce qui se passe car aucun d'entre eux n'a été informé sur la nature exacte du MIC et des dangers qu'il présente.

Le gouvernement du Madhya Pradesh a établi le détail du bilan humain :

    * 3 828 morts (identifiés)
    * 40 incapacités totales définitives
    * 2 680 incapacités partielles définitives
    * 1 313 incapacités partielles temporaires avec invalidité définitive
    * 7 172 incapacités partielles temporaires avec invalidité temporaire
    * 18 922 invalidités définitives sans incapacité
    * 173 382 invalidités temporaires sans incapacité
    * 155 203 blessures temporaires sans invalidité

Soit, au total, 362 540 victimes à des degrés divers. Ne seront déposées que 80 000 demandes d'indemnisation auprès des autorités indiennes.

Dès le 4 décembre, Warren Anderson, PDG d'Union Carbide, part inspecter les lieux avec une équipe d'experts pour essayer de faire la lumière sur le drame. Il est arrêté et emprisonné puis finalement expulsé. Ce n'est que le 20 décembre que les autorités laisseront venir la commission d'enquête sur les lieux. Dès le 6 décembre, l'usine a été fermée et on a entrepris son démantèlement. Autour du 13 décembre, les habitants de la ville ont commencé à fuir en masse, bien souvent sans destination précise, car il a fallu remettre en marche l'usine afin de détruire les stocks de gaz restants.

Poursuites

Warren Anderson, le PDG de l'usine est recherché par les autorités indiennes pour avoir négligé 30 problèmes de sécurité majeurs dans cette usine, alors que des problèmes analogues avaient été réparés dans une usine située aux États-Unis. Le mauvais entretien de l'usine est la cause de cette explosion.
La compagnie Union Carbide fut ensuite rachetée par Dow Chemical qui laissa le site à l'abandon.



Des compensations furent accordées à quelques familles pour éviter des plaintes, et la majorité des survivants continuent de vivre aux abords d'un site toujours toxique. Union Carbide a versé 470 000 000$ mais continue de refuser d'accepter la responsabilité. Chaque victime a reçu environ 500$.

Posted by OMEGA-PROJECT |