Hiroshima et Nagasaki

Un projet de longue haleine

Le projet, au nom de code projet Manhattan, a été initié en 1942, trois ans avant la fin de guerre, mais moins de 7 mois après l'entrée en guerre des États-Unis. Les bombes à l'uranium et au plutonium, développées en parallèle et en secret par les États-Unis (avec l'assistance du Royaume-Uni et du Canada, ainsi que de nombreux savants européens) étaient les deuxième et troisième engins à devoir être utilisés et sont restés les seuls déployés depuis cette date sur un théâtre d'opérations.


Trinity

Le premier essai d'une bombe atomique, Trinity (surnommée « le gadget » en partie du fait que ce n'était pas une arme opérationnelle), eut lieu dans un désert du Nouveau-Mexique le 16 juillet 1945, sur la base aérienne d'Alamogordo. C'était un modèle au plutonium, car les Américains avaient plus de doutes sur cette technologie que sur celle à l'uranium.


Le choix des villes cibles

Le 12 mai 1945, une délibération importante étudie le choix des villes et les impacts du lancement. Le 1er juin des propositions sont faites au président Harry Truman, successeur de Roosevelt. Parmi ces propositions, on y retrouvait celle d'utiliser la bombe nucléaire contre le Japon, le plus tôt possible, sans avertissement, sur une cible peuplée et d'importance militaire.
Cinq villes sont alors désignées: Kyoto (industries diverses), Hiroshima (grand port militaire et ville industrielle), Yokohama (grand port), Kokura (le principal arsenal), Niigata (port, aciéries et raffineries).
Kyoto, bien que présentant techniquement un site idéal, est rejetée par quelques conseillers dont l'orientaliste français Serge Elisseeff (1889-1975) qui connaissent la richesse culturelle de la ville et pensent que cette destruction serait un obstacle grave à une réconciliation ultérieure avec le Japon.
La liste devient Hiroshima, Kokura, Niigata et Nagasaki ( port et base militaire)
Ces villes avaient été relativement épargnées par les bombardements classiques et le furent plus encore après le choix, afin de bien mesurer les effets de la Bombe. Les cibles définitives allaient dépendre des conditions météorologiques...


La décision

La capitulation allemande signée, aucun doute n'était possible sur l'issue de la guerre. Mais la question du prix humain est posée. Peu de temps auparavant, 12 500 alliés et plus de 200 000 japonais avaient laissé la vie pour la seule conquête d'Okinawa (voir la bataille d'Okinawa et ses lieux de mémoires actuels).
On estimait que les pertes s'élèveraient au minimum à 500 000 tués, là où la victoire sur l'Allemagne avait entraîné 200 000 morts.

Le 31 mai 1945, Stimson réunit les principaux acteurs militaires et scientifiques du projet Manhattan. Ils discutèrent des inconvénients liés à un avertissement donné aux Japonais avant l'attaque. Ils craignaient que les Japonais ne déplaçassent des prisonniers de guerre en direction des zones prévues pour le bombardement ou que les appareils soient abattus. Il se pouvait aussi que la bombe soit un fiasco avec une explosion incomplète. Edward Teller proposa de faire exploser la bombe de nuit, sans avertissements, au-dessus de la baie de Tōkyō pour éviter les pertes humaines et choquer l'opinion. Cette idée fut rejetée : les Japonais avaient déjà prouvé leur combativité sans limite avec les kamikazes (avions suicides) et il n'était pas sûr qu'une action sans destruction massive soit suffisante pour les déstabiliser.


Oppenheimer suggéra d'attaquer avec plusieurs bombes le même jour pour définitivement stopper la guerre. Le général Groves s'y opposa car les cibles avaient déjà fait l'objet de bombardements conventionnels et que les effets des bombes ne seraient pas assez significatifs sur ces terrains déjà dévastés. De plus, les estimations à cette date sur la puissance d'une explosion nucléaire (aucun test n'ayant été effectué) ne correspondaient au mieux qu'à la moitié, au pire à un dixième de ce qui allait être réellement le cas. Les effets n'étaient pas encore précisément connus. Ce n'est qu'après le test de Trinity que la nature de la mission put être scellée. Le 17 juillet 1945 la conférence de Potsdam s'ouvre : il s'agit de définir les conditions de survie de l'Allemagne vaincue. Le jour même Truman reçoit un message codé l'informant du succès de l'essai Trinity.

Truman et Churchill se mettent d'accord pour porter discrètement à la connaissance de Staline l'existence de la bombe : ils le font le 24 juillet, mais Truman ne mentionne ni le mot " nucléaire ", ni le mot " atomique ". Staline n'y prête que peu d'attention …
Plus question d'hésiter : le succès de l'expérience atomique exige une décision immédiate. Truman rédige une demande de reddition inconditionnelle du japon intégrant la menace de l'utilisation d'armes terribles. Elle sera signée également par Churchill. Le 26 juillet, un ultimatum est adressé au Japon.
Le 28 juillet, l'ultimatum est rejeté et l'ordre d'utiliser la bombe est aussitôt lancé.


Une autre raison probable de la décision d'utiliser l'arme atomique tient dans la montée des tensions entre américains et soviétiques après la chute de l'Allemagne nazie. Que ferait Staline de l'arsenal accumulé pour venir à bout du IIIème Reich? Truman a pu y voir l'occasion de lancer un avertissement aux soviétiques. Qui plus est, l'URSS allait entrer en guerre contre le Japon. Les américains ont pu être tentés de hâter la chute de l'Empire du Soleil Levant avant que les soviétiques ne l'envahissent, ce qui aurait établi une partition de fait du Japon similaire à ce qui fut établi en Allemagne ou dans la péninsule coréenne.


La réaction du Japon à l'ultimatum de Potsdam

Les délibérations entre Hirohito, le cabinet et l'état-major, démontrent que l'Empire du Japon n'était pas sur le point de se rendre sans condition. Les archives japonaises et le journal du garde des sceaux Kôichi Kido indiquent que l'empereur et le cabinet insistèrent pour obtenir une reddition conditionnelle, alors que le gouvernement menait des négociations parallèles avec l'Union soviétique. Parmi ces conditions se trouvaient le désarmement des troupes par les autorités japonaises, le jugement des criminels par les autorités japonaises, l'absence de forces d'occupation en sol japonais et la préservation du régime impérial et de l'Empereur.

En réponse à la déclaration de Potsdam du 26 juillet, le gouvernement japonais organisa le 28 une conférence de presse au cours de laquelle le premier ministre Kantarō Suzuki annonça l'intention du Japon « d'ignorer » (mokusatsu) l'ultimatum. Une ambiguïté subsiste cependant quant à l'attitude de Suzuki : favorable à la capitulation, il devait cependant composer avec la faction belliciste de l'armée, et avait peut-être souhaité, par cette expression, exprimer un simple refus d'aborder la question en public, ou signifier que l'ultimatum n'apportait rien de nouveau. Le terme fut cependant compris par les Etats-Unis comme un refus catégorique de toute reddition.

Entre le 27 juillet et le 6 août, alors que Hirohito faisait l'objet d'intenses pressions de ses frères et de ses oncles lui demandant d'abdiquer en faveur de son fils, le gouvernement se réfugia dans le mutisme. Dans l'attente d'une issue aux négociations menées avec les Soviétiques, l'empereur ordonna le 31 juillet au garde des sceaux Kôichi Kido de prendre les mesures pour défendre « à tout prix » les insignes impériaux.

Le 2 août, Shigenori Tōgō, le ministre des Affaires étrangères, transmit à l'ambassadeur nippon à Moscou, Naotake Satō, un message lui indiquant que l'empereur, le premier ministre et le Quartier général impérial « plaçaient tous leurs espoirs » dans l'acceptation, par l'Union soviétique, d'une mission de paix menée par le prince Fumimaro Konoe. L'ambassadeur répliqua en recommandant au gouvernement d'accepter les termes de l'ultimatum de Potsdam.

Pressé par l'empereur, désireux de protéger ses prérogatives, Tōgō refusa toute négociation directe avec les autres alliés même lorsque Kaina, le président du bureau d'espionnage lui déclara le 4 août : « Ce n'est pas assez de négocier seulement avec l'Union soviétique. Il n'y a pas d'espoir si nous continuons comme ça. De quelque façon, en coulisse, nous devons négocier avec les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Chine. »

L'ordre d'attaquer

Seules quelques personnes sont au courant des ordres donnés par le président Truman. Le 21 juillet 1945, le président approuve le largage des bombes sur le Japon. Le 24 juillet, l'ordre est relayé par le secrétaire de la Guerre, Henri Stimson. Le 25 juillet, le général Thomas Handy envoie un ordre secret au général Carl A. Spaatz, ce sera le seul ordre écrit concernant l'utilisation de la bombe atomique (voir la traduction libre de l'ordre de Handy à l'attention de Spaatz). Le 28 juillet, le Japon refuse l'accord de Potsdam et l'utilisation de la bombe paraît alors inéluctable aux militaires américains.

HIROSHIMA

Hiroshima durant la Seconde Guerre mondiale

Des camps de l'armée s'étaient installés dans les environs. Parmi les plus importants, on y trouvait ceux de la 5e Division et le centre de commandement du général Hata. Celui-ci gérait l'ensemble de la défense de la partie méridionale de l'archipel. Le quartier général de la seconde armée était situé dans un secteur montagneux de la ville à 10 kilomètres du centre, dans le château de Hiroshima.

Hiroshima était un centre d'approvisionnement important et une base logistique pour les militaires nippons. La ville était un centre de communications, un lieu de stockage et de rassemblement pour les troupes. La population de Hiroshima fut mobilisée, comme d'autres cités japonaises, contre l'envahisseur américain : les femmes et les enfants apprenaient à se battre avec des bâtons et à supporter l'effort de guerre que ce soit dans les bureaux ou les usines.

Juste en face du port de la ville, sur l'île d'Okunoshima, était établie une usine de fabrication de gaz toxique affiliée au réseau d'unités de recherche de Shiro Ishii. Avec l'expansion de l'empire, au cours de l'ère Showa, différents types d'armes chimiques y furent produites comme le gaz moutarde, l'ypérite, le lewisite et le cyanure. Ces gaz étaient notamment utilisés contre les soldats et les civils chinois ainsi que dans les expérimentations sur des humains par les unités de Shiro Ishii.

La cité fut choisie comme cible, car elle n'avait pas encore subi de raids aériens : elle constituait une zone idéale pour évaluer l'impact de la bombe atomique. Le centre de la ville possédait plusieurs bâtiments en béton armé, de même que des constructions moins solides. En périphérie, les habitations en bois côtoyaient les petits commerces, formant une dense collection de structures légères. Quelques usines s'étaient implantées dans la banlieue. Le risque d'incendie était élevé à Hiroshima : la concentration des bâtiments et les matériaux utilisés étaient propices à une destruction maximale grâce aux effets thermiques de la bombe.

Les informations concernant le nombre de personnes présentes dans la ville lors du bombardement sont très variables, allant de 255 000 à 348 000 habitants. Les estimations données par les troupes et les travailleurs sont probablement imprécises. Le rapport américain indiquant 255 000 habitants s'était appuyé sur les statistiques de rationnement de riz de juin 1945.

Préparatifs

Deux heures après la réussite de l'essai Trinity, les bombes Fat Man et Little Boy prirent le départ depuis San Francisco en direction de Tinian à bord du croiseur Indianapolis. Les Américains avaient prévu deux attaques supplémentaires si la première ne se révélait pas suffisante. Le 26 juillet 1945, elles arrivèrent sur la base américaine. Le 28 juillet et le jour suivant, quatre avions Green Hornet s'envolèrent depuis l'Australie pour apporter les derniers composants nécessaires aux bombes : le cœur en plutonium pour Fat Man et les cylindres en uranium pour Little Boy.

Le capitaine de l'US Navy William Parsons était chargé de la maintenance et l'organisation de l'assemblage des bombes sur place. Il mit en place les différents ateliers nécessaires à cette opération, car on ne savait pas encore combien de bombes seraient employées pour venir à bout du Japon. Pendant ce temps aux États-Unis, la production de matière fissile continuait pour une troisième bombe.

Le seul vecteur possible pour la bombe était le Boeing B-29 Superfortress, unique bombardier lourd capable d'atteindre le Japon à l'époque dont une vingtaine d'exemplaires modifiés pour emporter cette nouvelle arme furent construits durant l'été 1945 à l'usine Glenn L. Martin d'Omaha et une unité spécialement créée pour le bombardement nucléaire fut mise sur pied, le 509th Composite Group.

Little Boy fut installée dans un B-29, mais ne fut pas armée. On craignait en effet que l'avion ne s'écrase et que la bombe ne se déclenche accidentellement, pulvérisant immédiatement l'île. Les accidents avec ces bombardiers étaient courants et les militaires ne voulaient pas prendre de risques. Il fut décidé que l'armement se ferait après le décollage, une des phases les plus délicates de la mission. L'équipe s'entraîna sans relâche pour peaufiner la mission et plus particulièrement Parsons qui était chargé d'armer la bombe en vol avec toutes les responsabilités que cela impliquait.

Le commandant de bord Paul Tibbets décida ensuite de baptiser le B-29 avec un nom unique, celui de sa mère (Enola Gay), pour placer l'avion et son équipage « sous une bonne étoile » comme il le dira lors d'une interview. Peu avant le décollage, des journalistes s'étaient amassés autour du bombardier pour immortaliser l'événement.


Le bombardement

Hiroshima était la cible prioritaire pour le bombardement. Le 6 août 1945, le temps était clair au-dessus de la ville. Plusieurs B-29 (dont Jabbit III pour Kokura et Full House pour Nagasaki) avaient été envoyés sur les autres cibles si la mission sur Hiroshima venait à être détournée, mais les autres villes étaient toutes couvertes par des nuages. Le B-29 piloté par Paul Tibbets était parti à 2h45 de l'île de Tinian. L'avion transportait avec lui la bombe Little Boy. Celle-ci fut armée en vol par le capitaine de marine William Parsons après le décollage.

Environ une heure avant le bombardement, les Japonais avaient détecté l'approche d'un avion américain sur le sud de l'archipel. L'alerte fut déclenchée avec des annonces à l'attention de la population et un arrêt des programmes de la radio dans plusieurs villes. L'avion survola Hiroshima et disparut. Cet avion était en fait le B-29 de reconnaissance,Straight Flush, qui signala les bonnes conditions de visibilité pour le bombardement. Les radars japonais détectèrent ensuite un nouveau groupe d'avions à haute altitude mais leur nombre peu élevé, seulement trois, fit que l'alerte fut levée après une dizaine de minutes. Les recommandations pour la population étaient de gagner les abris si un B-29 était visible, mais aucun raid n'était attendu mis à part de la reconnaissance.

Il s'agissait en fait des trois B-29 du raid sur Hiroshima qui évoluaient à plus de 9 500 mètres d'altitude :

► Enola Gay (bombardement)
► The Great Artiste (mesures et relevé de données)
► Necessary Evil (photographies, films).

Le second lieutenant, Morris R. Jeppson, fut le dernier à toucher la bombe lorsqu'il plaça les fusibles d'armement. Peu avant 8h15, Enola Gay arriva au-dessus de la ville. L'ordre de bombarder fut donné par Tibbets, le major Thomas Ferebee s'exécuta en visant le pont Aioi en forme de « T », celui-ci constituant un point de repère idéal au centre de la ville. Peu après 8h15, la bombe Little Boy sortit de la soute à une altitude de 9 450 m. À 8h16m2s, après environ 43 secondes de chute libre, activée par les capteurs d'altitude et ses radars, elle explosa à 580 mètres à la verticale de l'hôpital Shima, en plein cœur de l'agglomération, à 170 m au sud-est du pont visé, libérant une énergie équivalente à environ 15 000 tonnes de TNT.

Une énorme bulle de gaz incandescent de plus de 400 mètres de diamètre se forma en quelques fractions de secondes, émettant un puissant rayonnement thermique. En dessous, près de l'hypocentre, la température des surfaces exposées à ce rayonnement s'est élevée un bref instant, très superficiellement, à peut-être 4000°C. Des incendies se déclenchèrent, même à plusieurs kilomètres. Les personnes exposées à ce flash furent brûlées. Celles protégées à l'intérieur ou par l’ombre des bâtiments furent ensevelies ou blessées par les projections de débris quand quelques secondes plus tard l'onde de choc arriva sur elles. Des vents de 300 à 800 km/h dévastèrent les rues et les habitations. Le long calvaire des survivants ne faisait que commencer alors que le champignon atomique, aspirant la poussière et les débris, débutait son ascension de plusieurs kilomètres.

Un énorme foyer généralisé se déclencha rapidement avec des pics de température en certains endroits. Si certaines zones furent épargnées lors de l'explosion, elles devaient par la suite affronter un déluge de feu causé par les mouvements intenses des masses d'air. Cette « tempête de feu » fut similaire à celles observées lors des bombardements incendiaires sur les villes allemandes.

Enola Gay avait entre-temps effectué un virage serré à 155° vers le nord-ouest et rebroussait chemin. Les membres de l'équipage, protégés par des lunettes, purent assister à l'explosion. Bob Lewis, le copilote d'Enola Gay, s'écrie : « Mon Dieu, qu'avons-nous fait ? Même si je vis cent ans, je garderai à jamais ces quelques minutes à l'esprit. »

Le bombardier rentra à Tinian où l'équipage fut décoré pour sa mission et où une grande fête les attendait. Les deux autres B-29 chargés de récupérer des données restèrent suffisamment longtemps autour du site de l'explosion pour photographier le champignon atomique et les dégâts, filmer les alentours et recueillir des informations sur la mission.

Découverte de la destruction par les Japonais

L'opérateur chargé des liaisons radio à Tōkyō, un employé de la Nippon Hōsō Kyōkai, remarqua que la station de Hiroshima ne répondait plus. Il tenta de rétablir la communication via une autre ligne téléphonique, celle-ci s'était également tue. Environ vingt minutes plus tard, le centre ferroviaire qui gérait les télégraphes à Tōkyō réalisa que la ligne principale avait cessé de fonctionner jusqu'au nord de Hiroshima. Tous ces problèmes furent l'objet d'un rapport auprès du poste de commandement japonais.

Le commandement principal tenta à plusieurs reprises d'appeler le centre de commandement de l'armée à Hiroshima. Le silence qui s'ensuivit laissa dubitatifs les responsables de Tōkyō. Ils savaient qu'aucun raid ennemi avec un grand nombre d'avions n'avait eu lieu, les radars n'avaient signalé que quelques avions ici et là. De plus, aucun stock important d'explosifs ne se trouvait à Hiroshima à ce moment-là. Un jeune officier du quartier général japonais fut alors envoyé d'urgence à Hiroshima par avion pour constater les dégâts et retourner à Tōkyō avec des informations sur des destructions potentielles. On pensait qu'il s'agissait juste de quelques lignes coupées par un bombardement isolé.

L'officier se rendit à l'aéroport et prit son envol en direction du sud-ouest. Après trois heures de vol, son pilote et lui distinguèrent un immense nuage de fumée au-dessus de Hiroshima. L'appareil se trouvait pourtant à 160 kilomètres et ne tarda pas à survoler la zone. Ils ne cessèrent de tourner autour de la ville dévastée, les deux membres à bord ne pouvaient croire ce qu'ils voyaient : des incendies à des kilomètres à la ronde, un épais nuage entourant la ville et plus que des ruines. L'avion atterrit au sud de la ville et l'officier prit des mesures après en avoir informé Tōkyō.

La capitale ne sera informée de la cause exacte du désastre que seize heures plus tard. C'est à ce moment que la Maison blanche fit l'annonce publique à Washington.

Pendant ce temps à Hiroshima, les secours tardaient à venir et nombreux furent ceux qui périrent durant les premières heures. Une intense soif gagna les habitants, les victimes cherchaient désespérément de l'eau, mais les soldats avaient reçu l'ordre de ne pas donner à boire aux grands brûlés.

Retombées radioactives

Quelques heures après l'explosion, le nuage atomique ayant atteint des zones plus froides et s'étant chargé d'humidité, la pluie se mit à tomber sur Hiroshima. Elle contenait des poussières radioactives et les cendres qui lui donnaient une teinte proche du noir, et a été de ce fait désignée par le terme de « black rain » dans la littérature anglo-saxonne.


Les victimes

Le nombre des victimes ne sera sans doute jamais connu car les circonstances (ville en partie évacuée, présence de réfugiés venant d'autres villes, destruction des archives d'état civil, disparition simultanée de tous les membres d’une même famille, crémations de masse) rendent toute comptabilité exacte impossible, en particulier des morts survenues dans les premières heures.

La réaction du gouvernement japonais

Le bombardement de Hiroshima ne modifia en rien l'attitude de Hirohito et du gouvernement qui continuèrent d'ignorer l'ultimatum de Potsdam et ne prirent aucune mesure pour amorcer le processus de reddition, espérant toujours une issue favorable aux négociations avec l'Union soviétique. [48] Le 7 août, Shigenori Tōgō s'enquit encore auprès de l'ambassadeur Satō sur les intentions du gouvernement soviétique. [49]

Interrogé sur la question de la responsabilité par rapport à la guerre et au bombardement de Hiroshima par un journaliste de Tōkyō le 31 octobre 1975, l'empereur se fit évasif et tenta de justifier son attitude : « Nous n'avons pas étudié beaucoup cette question littéraire et en conséquence, nous ne la comprenons pas bien et ne pouvons répondre. Pour Hiroshima, c'est très regrettable que les bombes nucléaires aient été larguées et nous sommes désolés pour les citoyens de cette ville. Cela ne pouvait toutefois être empêché (shikata ga nai) car c'est arrivé en temps de guerre. »


Le second ultimatum

Peu après la destruction de Hiroshima et avant de lancer une autre bombe sur Nagasaki, le président Truman lança un nouvel avertissement aux autorités japonaises (traduction du texte original) : « C'était pour épargner des vies japonaises d'une destruction totale que l'ultimatum du 26 juillet fut formulé à la Conférence de Potsdam. Leurs dirigeants ont immédiatement rejeté cet ultimatum. S'ils n'acceptent pas maintenant nos conditions, ils doivent s'attendre à un déluge de ruines venu des airs comme il n'en a jamais été vu de semblable sur cette Terre. Après cette attaque aérienne suivront des forces marines et terrestres en nombre et en puissance telles qu'ils n'en ont jamais vu et avec les aptitudes au combat dont ils sont déjà bien conscients. »

Le 8 août, des bombardiers américains inondèrent plusieurs villes nipponnes de pamphlets appelant la population à renverser le gouvernement pour éviter une nouvelle catastrophe. Cette fois, le gouvernement japonais passa sous silence l'ultimatum et ne formula aucune réponse officielle, se concentrant sur une façon d'obtenir de l'Union soviétique la garantie que la Kokutai et les prérogatives de l'empereur seraient protégées.
À L'ATTENTION DU PEUPLE JAPONAIS
L'Amérique demande que vous prêtiez immédiatement attention à ce que vous allez lire sur cette feuille.
Nous sommes en possession de l'explosif le plus destructeur jamais conçu par l'homme. Une seule de nos bombes atomiques, que nous avons récemment développées, est équivalente à la puissance explosive de 2 000 B-29 lors d'une seule mission. Cette affreuse affirmation doit vous faire réfléchir et nous pouvons vous assurer solennellement qu'elle est terriblement exacte.
Nous venons juste de commencer à utiliser cette arme contre votre patrie. Si vous avez un quelconque doute, faites une enquête et demandez ce qui s'est passé à Hiroshima quand une seule de nos bombes est tombée sur la ville.
Avant d'utiliser cette bombe pour détruire toutes les ressources militaires qui permettent de continuer cette guerre inutile, nous vous demandons de faire une pétition à l'attention de l'empereur pour cesser la guerre. Notre président a exposé les treize conséquences d'une capitulation honorable. Nous vous pressons d'accepter ces conséquences et de commencer le processus de construction d'un nouveau Japon, meilleur et en paix.
Vous devriez prendre maintenant des décisions pour arrêter la résistance militaire. Nous devrons autrement nous résoudre à utiliser cette bombe et toutes nos autres armes supérieures pour cesser rapidement et avec force cette guerre.

Pris de court par le bombardement de Hiroshima, Staline mit un terme aux négociations avec le Japon et décida d'entrer en guerre contre celui-ci dès le lendemain.



NAGASAKI


Nagasaki durant la Seconde Guerre mondiale

La ville de Nagasaki était l'un des plus grands ports du sud du Japon et représentait un pion essentiel du complexe militaro-industriel japonais. Diverses industries y étaient implantées : fabriques d'équipements militaires, entreprises chargées de la munition et des bombes, usines pour la construction de navires et d'avions, etc.

Cet important effort de guerre nécessitait des moyens modernes qui contrastaient avec le reste de Nagasaki : les résidences étaient traditionnelles, avec des structures en bois. Les murs étaient en bois avec parfois du plâtre et les toits étaient couverts de tuiles. Les usines de tailles limitées et les bâtiments commerciaux étaient également construits en bois. Les structures ne pouvaient ainsi résister à de fortes explosions.

Nagasaki s'élargit pendant plusieurs années sans vraiment suivre un plan précis. Les habitations furent placées près des usines dans la vallée et la densité des constructions était élevée. Avant l'attaque atomique, Nagasaki n'avait jamais fait l'objet de bombardements à grande échelle. Le 1er août 1945, quelques bombes de forte puissance furent toutefois larguées sur la ville. Quelques-unes de ces bombes frappèrent le port et les constructions navales dans la partie sud-ouest de la ville. D'autres bombes visèrent les usines Mitsubishi et trois bombes sur six touchèrent l'hôpital de Nagasaki. Malgré des dégâts limités, l'impact sur la population fut important : une partie des enfants fut évacuée vers des zones rurales, accompagnée d'autres personnes.

Le bombardement

Le matin du 9 août 1945 à 3h49, le B-29 Bockscar partit de Tinian en direction du Japon. À son bord, la bombe Fat Man qui devait être larguée sur Kokura. Deux autres B-29 décollèrent peu après : The Great Artiste piloté par Frederick Bock et The Big Stink piloté par le lieutenant-colonel Hopkins.

Après 10 minutes de vol, le commandant Ashworth activa la bombe en chargeant les fusibles et ordonna de ne pas descendre en dessous de 1500 mètres pour éviter une détonation accidentelle. Les trois avions devaient se donner rendez-vous au-dessus de l'île de Yakushima mais « Bockscar » ne rencontra que The Great Artiste. Pendant plus de 40 minutes, les deux bombardiers patientèrent en tournant autour de l'île. Pendant ce temps, les informations météorologiques données par les avions de reconnaissance arrivèrent : des nuages couvraient partiellement Nagasaki et Kokura mais le bombardement était normalement possible.

L'autre avion n'apparaissant pas, ils se dirigèrent vers Kokura. Arrivé au-dessus de la ville vers 10h20, l'équipage de Bockscar affronta un nouveau problème : la couverture nuageuse à 70% empêchait le bombardement. Après trois survols de Kokura, l'escadre se dirigea vers Nagasaki, la seconde cible, pour procéder à un bombardement visuel des principales usines de la ville. « Bockscar » dut cependant faire face à un nouvel imprévu avec l'impossibilité de disposer du carburant de réserve.



À 7 h 50, une alerte aérienne fut donnée à Nagasaki mais elle fut rapidement levée aux alentours de 8 h 30. Quand les avions apparurent au-dessus de la ville vers 10 h 56, les Japonais pensèrent qu'il s'agissait d'avions de reconnaissance, alors courants, et aucune alarme ne fut donnée.

Quelques minutes avant l'explosion de la bombe, The Great Artiste largua des instruments attachés à trois parachutes. Des messages à destination du professeur Ryukochi Sagane, un physicien spécialisé dans le nucléaire qui avait travaillé avec trois des membres du projet Manhattan, accompagnaient l'équipement parachuté. Les textes lui demandaient d'avertir le public japonais au sujet des dangers de la bombe atomique, mais ces lettres ne furent trouvées qu'à la fin de la guerre.

À 11 h 02, une percée dans les nuages sur Nagasaki permit au bombardier de Bockscar, le capitaine « Kermit » Beahan, de viser la zone prévue, une vallée avec des industries. Fat Man fut alors larguée et explosa à 469 mètres d'altitude. La détonation eut lieu entre les deux cibles potentielles : l'usine d'aciérie et d'armement de Mitsubishi au nord et l'usine de torpilles Mitsubishi-Urakami au sud.


Trois ondes de choc atteignirent les deux avions. The Great Artiste continua sa mission scientifique autour de Nagasaki pendant que Bockscar se dirigeait vers le sud. Le retour vers Tinian ne se fit pas sans encombre. Sans carburant de réserve, Bockscar risquait de devoir se poser en mer. Sweeney décida d'atterrir à Okinawa. C'est quasiment en planant que le bombardier arriva sur la piste, un moteur s'était déjà arrêté en vol. Une vingtaine de minutes plus tard, The Great Artiste atterrissait à son tour accompagné de The Big Stink qui s'était dirigé en solo vers Nagasaki pour prendre des photos.

Les trois avions firent le plein de carburant et retournèrent à Tinian où ils arrivèrent le 9 août à 23 h 30. On sait maintenant que les dizaines de minutes supplémentaires passées à attendre The Big Stink permirent à Kokura d'éviter le bombardement suite à une dégradation soudaine des conditions météorologiques.

De même que pour Hiroshima des incertitudes concernant le nombre des victimes existent à Nagasaki.


La troisième bombe

Après le bombardement de Nagasaki et l'entrée en guerre de l'Union soviétique contre le Japon, les négociations s'activèrent. La fin de la guerre semblait proche mais les États-Unis préparaient le lancement d'une troisième bombe au cas où les deux premières missions n'auraient pas été suffisantes. Le capitaine William Parsons ne fut pas autorisé à quitter l'île de Tinian avant la reddition. Il devait en effet assurer l'approvisionnement et l'assemblage des bombes supplémentaires si le Japon persistait dans le conflit. Les militaires américains voulaient faire croire aux Japonais qu'ils disposaient d'un nombre illimité d'armes nucléaires. Les théories sur la troisième bombe sont multiples mais les témoignages se recoupent sur un point : une bombe supplémentaire ne pouvait pas être prête avant quelques semaines.

Dans les archives du général Spaatz, il est mentionné que l'US Air Force désirait larguer la troisième bombe sur Tōkyō si les Japonais ne rendaient pas les armes assez vite. En réponse à cette requête, il était indiqué que la décision avait déjà été prise et que la cible serait Sapporo sur l'île d'Hokkaido.

La reddition du Japon

 L'invasion soviétique au Mandchoukouo précipita la décision de Hirohito, le 9 août, il demanda à son garde des sceaux Kōichi Kido d'organiser une conférence impériale pour « contrôler la situation » car « l'Union soviétique a déclaré la guerre et débuté les hostilités contre nous ». Au cours de cette conférence tenue dans la nuit du 9 au 10, l'Empereur annonça sa décision de se rendre à l'ultimatum des alliés et demanda la préparation d'une déclaration impériale à la condition que cette déclaration « ne porte pas préjudice aux prérogatives de Sa Majesté à titre de Souverain ».
Le 12, Hirohito informa officiellement la famille impériale de sa décision. Le prince Asaka, l'un des oncles de l'Empereur, lui demanda alors : « La guerre continuera-t-elle si l'institution impériale et la politique nationale (kokutai) ne peuvent être préservées ? » Ce à quoi Hirohito répondit laconiquement : « Bien sûr. »

Le 14, pendant qu'une tentative de mutinerie d'un petit groupe de militaires opposés à la reddition était matée, Hirohito approuva la déclaration impériale et, le lendemain, livra son célèbre discours à la radio (allocution connue sous le nom de Gyokuon-hōsō). Le rôle de la bombe atomique y était essentiel : elle constituait une « arme nouvelle et terrible » capable de « détruire la nation japonaise », et le seul moyen de sauver des millions de vies japonaises était la reddition. L'entrée en guerre de l'Union soviétique n'y était pas mentionnée.

Le 17, il émit un « édit aux soldats et aux marins » leur ordonnant de déposer les armes et liant sa décision de procéder à la reddition à l'invasion soviétique du Manchukuo, passant sous silence les bombardements atomiques.

Arrivée des Américains



La fin de la 2nde Guerre mondiale

 Le 28 août 1945, les Américains débarquent sur l'archipel sous les ordres du général George Marshall. Des groupes d'experts sont envoyés à Hiroshima et Nagasaki. Ils doivent faire un compte rendu de la situation tant au niveau humain que militaire avec la destruction des bâtiments. Les Japonais sont surpris par l'élégance de ces officiers qui se mettent à interviewer des centaines de personnes. Ces témoignages permettront de mieux estimer les effets des bombes sur la population.

Les envoyés spéciaux sont tous abasourdis par l'étendue des dégâts. Le 5 septembre, le journaliste William Burchett publie un compte-rendu dans le Daily Express :

« À Hiroshima, trente jours après la première bombe atomique qui détruisit la ville et fit trembler le monde, des gens qui n'avaient pas été atteints pendant le cataclysme, sont encore aujourd'hui en train de mourir mystérieusement, horriblement, d'un mal inconnu pour lequel je n'ai pas d'autre nom que celui de peste atomique. (…) Leurs cheveux tombent. Des tâches bleuâtres apparaissent sur leurs corps. Et puis ils se mettent à saigner, des oreilles, du nez, de la bouche. Au début, les médecins attribuèrent ces symptômes à un état de faiblesse généralisée. Ils firent à leur patient des injections de vitamine A. Les résultats furent horribles, la chair se mit à pourrir autour du trou fait par l'aiguille de la seringue. (…) Depuis, (les personnes) meurent à la cadence de 100 par jour. »

Dès sa capitulation, le Japon est sous tutelle américaine. Le pays connaîtra un sort similaire à l'Allemagne avec des arrestations des principaux dignitaires. À l'instar du procès de Nuremberg, le tribunal de Tōkyō condamne les accusés pour leurs crimes de guerre, dont Hideki Tōjō qui sera pendu le 22 décembre 1948. L'empereur Hirohito ne sera pas menacé et restera sur le trône jusqu'à sa mort en 1989.


L'office de censure japonais compte environ 6 000 employés en 1946. Ceux-ci sont chargés d'écouter les communications et de limiter le pouvoir de la presse. Les journalistes ne sont pas autorisés à enquêter sur les bombes atomiques et les effets constatés dans les deux villes sinistrées.

Le 3 novembre 1946, la nouvelle constitution, modelée selon les désirs des forces alliées, est adoptée puis définitivement validée le 7 mai 1947. Les États-Unis occupent le Japon jusqu'en avril 1952. Certaines îles ne seront restituées au Japon que dans les années 1970.

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