Le mystère des Templiers

En moins de deux siècles d'existence, les chevaliers de l'Ordre du Temple ont accumulé richesses et propriétés, se constituant un trésor légendaire. Militaires réputés, banquiers internationaux, religieux privilégiés, les Templiers ont connu la gloire, puis la déchéance et l'humiliation. En 1312, l'ordre est aboli sur décision de Philippe le Bel.


Au commencement furent les Croisades

Insupportable pour les chrétiens de savoir le tombeau du Christ aux mains de mécréants ! Alors c'est par milliers qu'en 1095 ils partent pour la première croisade lancée par le pape Urbain II, et traversent les mers pour conquérir la Terre Sainte et reprendre possession de Jérusalem. Voyages périlleux, routes truffées de bandits, ils sont nombreux à y laisser leur vie. Deux chevaliers décident donc de protéger cette quête sacrée et ceux qui la poursuivent. C'est ainsi qu'en 1119, Hugues de Payns et Geoffroy de Saint-Omer fondent l'Ordre des Pauvres Chevaliers du Christ.

L'armée des Templiers

Le roi de Jérusalem, Baudoin II, leur octroie une partie du Temple de Salomon qui leur vaut rapidement le nom de "Chevaliers du Temple" ou "Templiers". Mais ce n'est qu'en 1128, lors du concile de Troyes, que l'Ordre est officialisé par le pape Honorius II. Seulement 9 au départ, ils sillonnent les routes de l'Occident pour élargir leurs rangs et se constituer en armée. La France et l'Angleterre leur fournissent le gros de leurs troupes.



La bure et l'épée

"Tu ne tueras point", ordonne Dieu dans ses 10 commandements. Prescription d'autant plus incontournable pour ceux qui ont fait le vœu de consacrer leur vie au Christ. Pourtant, lorsque Bernard de Clairvaux, qui a soutenu l'ordre auprès du pape Honorius II, rédige la règle de l'ordre des Templiers en 1128, il bouleverse les codes de la société médiévale, traditionnellement divisée en trois ordres (noblesse, clergé et tiers-état). Les Templiers franchissent les frontières habituelles : moines par leurs vœux de chasteté, pauvreté et obéissance, ils sont également soldats, maniant l'épée et faisant couler le sang.

Une armure de fer et de foi

Ces chevaliers, généralement peu instruits et inaptes à la contemplation, sont attirés par la bataille et le salut offert par le Temple. Ils "meurent pour leur bien et tuent pour le Christ", ils se couvrent "le corps d'une armure de fer et l'âme d'une armure de foi", écrit Bernard de Clairvaux. Leur habit rouge et blanc reflète cette dualité : le blanc de leur robe est couleur de pureté et de chasteté ; la croix rouge, attribuée par le pape Eugène III en 1147, rappelle leur appartenance au christianisme tout en symbolisant le sang.



Aux sources de leur fortune

Ces chevaliers sans peur, "qui ne craignent ni hommes, ni démons", connaissent un succès immédiat. Combattant pour le Christ, ils se voient dotés des héritages de riches chrétiens qui espèrent racheter le salut de leur âme. Les dons des nouveaux membres, apports des quêtes de l'Eglise, loyers de leurs terres et les privilèges octroyés par le pape qui les exempte d'impôts font également leur fortune.

Gestionnaires et financiers

Les Templiers exercent une activité économique et financière pour subvenir aux besoins de l'Ordre et faire fructifier leur fortune par une série de mesures lucratives. Ils mettent par exemple en place un système de changement de monnaie qui leur permet de récupérer plus d'argent qu'ils n'en ont prêté. Ils inventent la lettre de change, origine du chèque, pour faciliter le transport des fonds : les Croisés partant pour la Terre Sainte pouvaient laisser leur or dans un comptoir occidental, voyager avec une lettre ne craignant par le vol et récupérer leur dû dans un comptoir oriental. Les Templiers stockent enfin les biens des rois de France et d'Angleterre. Une fortune qu'il faut gérer. Aussi, au milieu du XIIe siècle, les combattant sont déjà moins nombreux que les employés, gestionnaires ou baillis.



Le patrimoine

De l'Angleterre à la Terre Sainte, en passant par la France, le Portugal ou Tripoli, les Templiers sont à la tête d'un vaste patrimoine foncier. L'Ordre étend ses propriétés, ou "commanderies", à tout l'Occident : ces monastères, issus de donations foncières et immobilières, font office de centres de recrutement et de formation militaires locaux. Leur plus célèbre commanderie est alors la Tour du Temple, implantée depuis 1143 dans le quartier du Marais à Paris. Les membres de l'Ordre y ont notamment gardé la fortune du roi Philippe IV le Bel.

Leur présence en Orient

De nombreuses forteresses militaires se trouvent également au Proche Orient. Leur siège central, la Maison du Temple, se trouvait d'ailleurs à Jérusalem de 1129 à 1187, date de la prise de Saladin, avant de s'installer à Saint-Jean d'Acre. Une escale qui ne durera pas longtemps. L'extension fulgurante de l'Ordre prend fin avec la neuvième et dernière Croisade de 1271, qui précipite la chute de l'Occident en Orient.



Une conjoncture défavorable

Différents facteurs peuvent expliquer la chute des Templiers. C'est tout d'abord la fin des Croisades qui met en cause leur raison d'être. Le 16 juin 1291, Saint-Jean d'Acre, dernière place de la Chrétienté, tombe aux mains des Sarrasins, entraînant l'exode des derniers chrétiens, dont les Templiers et les Hospitaliers, vers l'Occident. Le siège de l'Ordre se réfugie d'abord à Chypre avant de s'installer à Paris. Mais de retour en Occident, la côte de popularité de l'Ordre décline rapidement. L'Ordre s'est trop bien développé pour s'intégrer facilement dans la société. Les autorités souhaitent restreindre leurs privilèges jugés abusifs et le peuple lui-même commence à lui en tenir rigueur, insultant et bousculant les chevaliers qu'ils croisent dans la rue.

L'entrée en scène de Jacques de Molay

Jacques de Molay, nouveau Grand Maître nommé en 1293, est accusé d'avoir sacrifié la Terre sainte aux intérêts de l'Ordre. Alors que le pape Nicolas IV avait proposé de fusionner l'Ordre du Temple avec celui des Hospitaliers pour contrer l'invasion musulmane, Jacques de Molay s'est obstiné à refuser. Enfin, des tensions de plus en plus vives entre le roi de France Philippe le Bel et le nouveau pape, Boniface VIII, ont joué en défaveur de l'Ordre. Rentrés en France, les Templiers dirigent de nombreux domaines et font fructifier leurs richesses pour le seul profit du pape, au détriment du roi. Dans un contexte où la France a besoin d'argent, Philippe le Bel va faire tout ce qui est en son pouvoir pour s'octroyer le "trésor des Templiers".



La dépravation hérétique

La France du XIIIe siècle compte sur sont territoire de nombreux hérétiques. Il est donc facile de profiter de l'impopularité des Templiers pour les accuser de "dépravation hérétique". Dès 1305, des bruits courent sur leurs mœurs dissolues. Jacques de Molay, humilié, demande au pape Clément V de mener l'enquête pour mettre fin à ces calomnies et justifier de sa bonne foi. Mais le pape ne prête guère d'attention à sa requête, pas plus qu'à celle de Philippe le Bel qui veut faire arrêter les renégats. Impatient, le roi se passe finalement de son autorisation pour lancer les hostilités.

L'arrestation

Le 14 septembre 1307, le roi de France, ordonne à ses généraux d'arrêter tous les membres de l'Ordre du Temple présents sur le territoire français. Le vendredi 13 octobre à l'aube, Guillaume de Nogaret, légiste et fidèle du roi, pénètre avec ses troupes dans la Tour du Temple à Paris et y arrête 138 frères. Peu surpris, ils se rendent d'eux-mêmes à la vue de l'ordonnance royale, comme tous les membres qui sont arrêtés en France au même moment.



La propagande du roi

Perversité, luxure, avarice... Seuls des péchés capitaux pouvaient justifier l'arrestation massive du vendredi 13. Aussi, dans son ordonnance, Philippe le Bel accuse les Templiers "d'une chose assurément horrible à penser, terrible à entendre, un crime détestable, une chose tout à fait inhumaine". Un pacte avec la déesse démoniaque Asmodée, reine de la luxure, garantissait aux Templiers l'opprobre populaire.

Une initiation orgiaque

Le rite d'initiation de l'Ordre, à la base un simple adoubement accompagné d'un chaste baiser sur la bouche, devient dans les écrits du roi, une orgie nocturne diabolique. Les novices seraient contraints de renier le Christ et d'adorer des idoles profanes. Après avoir craché et uriner sur un crucifix, s'être confessé à un civil - et non à un prêtre, et avoir renié les sacrements, ils seraient "dépouillés de leur vêtements séculiers et menés nus devant le templier chargé de les recevoir, baisés par lui au bas de l'épine dorsale, sur le nombril et enfin sur la bouche". Baisers obscènes, homosexualité... Face à ces accusations, l'alternative est simple : avouer et se faire pardonner, ou mourir en hérétiques et brûler en Enfer pour l'éternité.



L'Inquisition au service du roi

Le roi accuse mais manque de preuves. Son objectif : obtenir les aveux qui attesteront la culpabilité des Templiers. Dès l'arrestation, il demande donc à ses hommes d'user de tous les moyens nécessaires pour les terroriser. Ils préparent le terrain pour l'Inquisition, à l'époque sous contrôle de la monarchie française. Malgré les réticences du pape Clément V, Philippe le Bel demande à Guillaume de Paris, grand Inquisiteur (et son confesseur), d'arracher les aveux nécessaire. En 1307, ce dernier prend la tête des opérations, interrogeant lui-même les 37 premiers témoins.

Avouer ou mourir

A Paris, 138 Templiers sont soumis à l'interrogatoire musclé des inquisiteurs, formés pour faire avouer les plus récalcitrants. Torture morale, affaiblissement physique, menaces... Les prisonniers sont poussés jusqu'à des états d'hystérie et d'épuisement. Après un régime au pain et à l'eau et une cure sans sommeil, les Templiers ne résistent pas longtemps : écartelés, brûlés, émasculés ou pendus par les membres, 134 Templiers avouent leur crime, 4 seulement résistent et 25 finiront par succomber à la torture.

Les commissions pontificales

Après ces aveux, le pape Clément V ne peut plus rester indifférent. Le 22 novembre 1307, il diffuse la bulle Pastoralis praeeminentiae qui ordonne à tous les princes d'Europe d'arrêter les Templiers sur leur territoire. En 1308, il relance l'enquête et fait dresser une liste plus complète des charges qui pèsent contre eux. D'enquêtes en commissions pontificales, de procès en procès, les Templiers avouent et démentent tout à tour, tentant par tous les moyens de se justifier auprès du pape, théoriquement le seul à qui ils doivent rendre des comptes. Mais sous Clément V, la papauté est également un instrument au service de la monarchie.



Le bûcher final

En 1312, Philippe le Bel fait pression sur le pape qui, excédé, fait définitivement abolir l'Ordre. Le procès ne s'achève réellement qu'en 1314, avec la sentence émise contre les deux derniers hauts dignitaires de l'Ordre, Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay. Bien qu'ils aient réitéré leurs aveux lors de la commission pontificale du 22 décembre 1313, la lecture publique de leur crime sur le parvis de Notre-Dame, en mars 1314, leur est insupportable : ils nient en bloc et clament leur innocence. Furieux, Philippe le Bel ordonne leur mise à mort : ils seront brûlés sur l'île de la Cité le lendemain.

La malédiction

Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay, livrés aux flammes le 18 mars 1314 sur l'île de la Cité, meurent en prières, regards tournés vers Notre-Dame. Mais juste avant de mourir, le grand maître de l'Ordre maudit ses accusateurs qu'il destine à l'ire divine. Dans un dernier souffle, il jette l'anathème : "Clément, juge inique et cruel bourreau, je t'assigne à comparaître dans 40 jours devant le Tribunal de Dieu ! Et toi aussi, roi Philippe !". Le sort en est jeté.



Hasard ou mauvais sort ?

Un mois après, le 20 avril, le pape Clément V meurt malade, après avoir ingurgité un plat d'émeraudes censées le guérir. Le 29 novembre, c'est au tour de Philippe le Bel de trépasser : celui qu'on appelait le "Roi de fer" meurt à 46 ans, en pleine force de l'âge, d'une attaque cérébrale. Alors que sa succession était assurée, les fils du roi, qui se relayent sur le trône de 1314 à 1328, meurent tous précocement et sans héritier, mettant fin à la dynastie des Capétiens. Victimes du sort jeté par Jacques de Molay ? Mythe ou réalité ? La légende, popularisée par le romancier Maurice Druon, les rendra célèbre sous le nom des "Rois maudits".

Les héritiers

Après l'abolition de l'Ordre du Temple en 1313, se pose le problème de la répartition de sa fortune. Le roi Philippe Le Bel, qui la convoite depuis longtemps, avait déjà essayé de s'en emparer en accusant les Templiers de pactiser avec le diable : leurs richesses, acquises avec l'aide de Satan, reviendraient de droit au Royaume de France. L'argument ne fait pas mouche. Il suggère donc au pape de créer un nouvel ordre militaire, héritier des Templiers, qui serait dirigé par un membre de la famille royale. Après de longues hésitations, le pape lègue finalement les biens aux Hospitaliers, ordre militaire évangélique créé au milieu du XIe siècle. Le roi accepte cette solution tout en ponctionnant ce qu'il peut grâce aux taxes et impôts.



Saint-Graal ou trésor de Salomon?

Bien qu'elle ait été essentiellement foncière, la richesse des Templiers est devenue mythique. La légende s'est répandue à cause du fameux vendredi 13, jour de l'arrestation des Templiers. Les gardes de Guillaume de Nogaret, chargés de faire l'inventaire des biens, n'auraient pas trouvé un écu dans la Tour du Temple. On imagine alors que les Templiers, avertis de l'arrestation, auraient pris soin de cacher leur magot. Dès lors, toutes les spéculations sur la nature et sur l'origine du trésor ont été émises : Saint Graal pour certains, trésor de Salomon pour d'autres, il serait enfoui quelque part en France, voire en Amérique, où des francs-maçons l'auraient emporté après l'indépendance des Etats-Unis. L'énigme reste entière et, à ce jour, aucune trace du fameux trésor n'a été retrouvée.

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