L'affaire Dominici

1952


Le 27 juillet 1952, une famille britannique débarque à Dunkerque, pour passer quelques jours de vacances en France. Sir Jack Drummond directeur de laboratoire, 61 ans, est accompagné de son épouse, Lady Ann née Wilbraham, 47 ans, et de leur fille Elisabeth, 10 ans. A bord de leur voiture de marque Hillman, ils ont pour but de se rendre à Villefranche-sur-Mer où leurs amis Marrian les ont invités à séjourner dans une villa dont ils disposent.

Après un détour par Domrémy, ils font étape à Digne durant la nuit du 30 juillet au 1er août. Sir Jack y achète trois billets d'entrée à un spectacle taurin prévu pour le lundi 4 août. A cette date, la famille Drummond revient effectivement à Digne et, après avoir assisté à ce spectacle, reprend la direction de Villefranche-sur-Mer, par la vallée de la Durance. Parvenu dans la commune de Lurs, Sir Jack s'arrête au bord de la route nationale n° 96, en vue d'y passer la nuit.

L'endroit qu'il choisit, sous un mûrier situé à gauche de la route en allant vers Aix, se trouve à 165 mètres au nord de la ferme de la Grand'Terre habitée par une famille de cultivateurs. Celle-ci est composée de Gaston Dominici, 75 ans, de son épouse, Marie née Germain, 71 ans, de leur fils Gustave, 32 ans, de leur belle-fille Yvette née Barth, 20 ans, et du petit Alain, fils de Gustave et Yvette, 10 mois.

Le lendemain matin, vers 6 h, Gustave Dominici arrête un motocycliste qui passe sur la route, Jean-Marie Olivier et lui demande de prévenir la gendarmerie qu'il a entendu des coups de feu dans la nuit, et qu'il vient de découvrir un cadavre.

Arrivés sur les lieux vers 7 h 30, les gendarmes de Forcalquier y constatent la présence non d'un, mais de trois corps. Celui de Lady Ann, enroulé dans une couverture, se trouve près de la voiture et celui de Sir Jack, couvert d'un lit de camp renversé, du côté opposé de la route; ils semblent l'un et l'autre avoir été tués par balles d'armes à feu. Sir Jack présente également une blessure à la main droite. A 75 mètres environ de sa mère gît Elisabeth, au delà d'un pont sur la voie ferrée Marseille-Veynes, dans une pente descendant vers la Durance; elle porte à la tête des traces de coups profonds faits avec un instrument contondant.

Sous les ordres du capitaine Henri Albert, les gendarmes procèdent aux premières constatations. Ils découvrent près de la voiture Hillman trois étuis vides et une cartouche non percutée paraissant provenir d'une arme de guerre. A proximité du corps d'Elisabeth, ils remarquent des traces de pas qu'ils cherchent à protéger, mais qui se révèleront inexploitables. Ils constatent, dans la voiture et tout autour, un très grand désordre.

Le docteur Henri Dragon, médecin à Oraison, est appelé sur les lieux. Il attribue la mort des parents à des blessures par balle et celle de l'enfant à l'éclatement du crâne. L'autopsie pratiquée le soir-même à Forcalquier par les médecins légistes Girard et Pierre Nalin confirmera ces conclusions.

Le capitaine Albert prévient le procureur de la République de Digne, Louis Sabatier, qui ouvre une instruction confiée au juge d'instruction Roger Périès. Ces magistrats se transportent sur les lieux, accompagnés du greffier Emile Barras.

Outre les autorités administratives et judiciaires, une foule de curieux afflue sur les lieux que les gendarmes parviennent mal à protéger.

Le juge Périès confie l'enquête à la 9e brigade de police judiciaire de Marseille. Celle-ci délègue pour y procéder le commissaire Edmond Sébeille, accompagné d'une équipe d'inspecteurs.

Peu après leur arrivée, l'inspecteur Henri Ranchin aperçoit à la surface de l'eau, dans un bras mort de la Durance, la crosse brisée d'une arme de guerre dont il découvre le canon, immergé un peu en amont. Il s'agit d'une carabine américaine à répétition de marque Rock-Ola en mauvais état, sommairement réparée à l'aide d'un collier en aluminium et d'un morceau de fil de fer. Un éclat de bois trouvé sous la tête de la petite Elisabeth, lors de l'enlèvement de son corps, s'adapte exactement dans un creux de la crosse brisée. Une expertise opérée ultérieurement montrera que les douilles trouvées sur place ont été tirées par cette arme.

De son côté, l'inspecteur Charles Girolami constate la présence d'un pantalon de velours appartenant à Gaston Dominici, fraîchement lavé, qui sèche près du logement de celui-ci. De même, le sous-préfet de Forcalquier, présent sur les lieux, signale un pantalon bleu suspendu à une fenêtre de la ferme. Mais ces éléments ne sont pas exploités.

En revanche, la carabine Rock-Ola est présentée à de nombreux témoins, dont aucun ne dit la reconnaître. Toutefois, à sa vue, Clovis Dominici, fils aîné de Gaston, manifeste une vive émotion et tombe à genoux; mais il se ressaisit rapidement et, malgré les questions pressantes du commissaire Sébeille, ne fait aucune déclaration qui permette à l'enquête d'avancer.



Parmi les témoins qu'entend la police judiciaire, Gaston Dominici déclare qu'il a aperçu les trois Anglais et leur voiture sous le mûrier, le soir du 4 août vers 19 h 30. Puis il a été réveillé dans la nuit, une première fois vers 23 h par un motocycliste qui appelait dans une langue étrangère et une seconde fois un peu après 1 h par les aboiements de son chien et des coups de feu. Il n'a pas entendu de cris. Il est parti garder ses chèvres vers 5 h du côté opposé à celui où se trouvait la famille Drummond et c'est seulement en revenant, vers 8 h, qu'il a appris le crime, de la bouche de son fils Gustave, alors que les gendarmes étaient déjà là. Il affirme ne pas connaître la carabine Rock-Ola.

De son côté, Gustave dit qu'à son retour des champs, le 4 août vers 20 h, son père l'a envoyé surveiller l'éboulement sur la voie ferrée de la bordure d'un de leurs champs, dû à un arrosage excessif. En s'y rendant, il a vu les trois campeurs, sans leur parler. Comme son père, il a été réveillé dans la nuit, ainsi que sa femme, successivement par le motocycliste étranger et par les coups de feu. Ils n'ont pas entendu de cris. Il s'est levé vers 5 h 30 et s'est aussitôt dirigé vers l'éboulement, afin de vérifier s'il ne s'était pas aggravé durant la nuit. C'est alors qu'il a vu le corps de la fillette morte. Il ne s'en est pas approché, mais a couru jusqu'à la route nationale où il a fait signe de s'arrêter au motocycliste Olivier, puis il est rentré chez lui pour attendre les gendarmes. Il déclare n'avoir jamais vu l'arme du crime.

Aucun des nombreux autres témoins alors entendus, membres et proches de la famille Dominici, habitants de Lurs, Ganagobie, Peyruis, Forcalquier, etc, passants sur la route nationale, intervenants spontanés ou autres, ne fournit de renseignements déterminants sur les circonstances du drame ou le propriétaire de la carabine.

Malgré la découverte rapide cette arme, l'enquête piétine ainsi durant tout le mois d'août 1952. En septembre, Edmond Sébeille part en vacances et, durant son absence, l'exécution de la commission rogatoire du juge Périès est confiée au commissaire principal Fernand Constant. A son retour, il est décidé que les deux commissaires resteront quelque temps l'un et l'autre sur cette affaire, Sébeille entreprenant une révision complète et détaillée du dossier, tandis que Constant poursuivra l'action sur le terrain.

C'est alors que celui-ci réalise une première, mais modeste avancée. S'appuyant sur le témoignage de Paul Maillet, il établit que, lorsque Gustave Dominici a vu le corps de la petite Elisabeth, celle-ci n'était pas inerte comme il l'affirmait, mais qu'elle bougeait encore. Confronté avec le témoin, Gustave reconnaît ce fait. Traduit devant le tribunal correctionnel de Digne, puis devant la cour d'appel d'Aix, il est condamné à deux mois d'emprisonnement pour non assistance à personne en danger.

Mais, contrairement aux espoirs des deux commissaires, son échec sur ce point n'assouplit pas la position de Gustave Dominici. A sa sortie de prison, le 15 décembre 1952, il ne leur apporte aucun élément nouveau, susceptible de faire avancer l'enquête.


1953

Le commissaire Sébeille poursuit donc son travail d'analyse du dossier, devenu entre temps fort volumineux. Il compare minutieusement entre elles les nombreuses déclarations recueillies par son service ou par la gendarmerie, recherchant les divergences qui peuvent exister entre elles, parfois sur des petits détails, et procède, si nécessaire à de nouvelles auditions des témoins.

C'est ainsi que que six d'entre eux, Paul Maillet, Robert Eyroux, Roger Perrin, Jean-Marie Olivier, Jean Ricard et Faustin Roure lui apportent des éléments précis qui remettent en cause certaines déclarations de Gaston et Gustave Dominici. Il décide alors, en accord avec le juge Périès, d'opposer ces éléments à ces deux derniers.

Il commence par confronter Gustave avec Ricard, Roure et Olivier, sur les lieux du crime, de bonne heure le matin du 12 novembre 1953. Puis il l'emmène au palais de justice de Digne où il l'interroge toute la journée et poursuit son audition le lendemain. Le premier jour, Gustave Dominici reconnaît que, contrairement à ce qu'il a soutenu jusqu'alors, il avait entendu les victimes crier au cours de la nuit du 4 au 5 août 1952, que pour arrêter Olivier le matin du 5 il avait surgi sur la route nationale tout près de la voiture anglaise, que Lady Ann et la petite Elisabeth étaient venues chercher de l'eau à la Grand'Terre dans la soirée du 4, et que le matin du 5 il s'était rendu plusieurs fois sur les lieux du crime où, entre 7 heures et 7 h 30, il avait déplacé le corps de Lady Ann. Enfin, au début de l'après-midi du 13 novembre, il s'effondre en pleurant sur l'épaule du commissaire Sébeille et lui déclare que le triple crime a été commis par son père; il précise que son frère Clovis est également au courant.

Aussitôt amené à Digne, celui-ci confirme les propos de son frère.

Le soir même, toujours au palais de justice de Digne, le commissaire Sébeille interroge Gaston sur les déclarations de ses fils, mais n'obtient aucun résultat. Il en est de même le lendemain 14 novembre. Au cours d'interrogatoires poursuivis une grande partie de la journée, le vieil homme refuse de reconnaître sa culpabilité. Edmond Sébeille suspend ces interrogatoires à 18 h et décide, en accord avec le procureur Sabatier et le juge Périès, que Gaston Dominici passera une nouvelle nuit au palais de Justice de Digne, sous la garde d'agents de police de cette ville. Cette surveillance est organisée par le commissaire de police de Digne, Pierre Prudhomme qui attribue à ses hommes des tours de garde de deux heures chacun.



Le premier tour, de 18 h à 20 h, incombe au gardien Victor Guérino. Seul avec celui-ci, dans la chambre du conseil du tribunal, le vieil homme lui parle en provençal. Leur conversation porte successivement sur la chasse, sur la Grand'Terre et la culture, puis sur la famille de Gaston. Vers 19 h, évoquant ses petits-enfants, il se met à pleurer. Guérino l'invite à s'exprimer, ajoutant qu'à son âge on lui en tiendra compte. Il ajoute: "c'est peut-être un accident qui vous est arrivé" et s'entend répondre "eh bé oui, c'est un accident, ils m'ont attaqué, je les ai tués tous les trois". Un peu plus tard, Gaston Dominici renouvelle cette déclaration, précisant qu'il avait pris son fusil pour aller voir l'éboulement, en passant près du campement des Anglais: "j'ai été attaqué, j'ai tiré et puis ça a bardé". Victor Guérino lui conseille de répéter tout cela au commissaire Sébeille, mais le vieillard refuse et lui demande d'aller chercher le commissaire Prudhomme.

A le relève de 20 h Guérino demande à Gaston Dominici, en présence du sous-brigadier Joseph Bocca et de Simon Giraud, concierge du palais de justice, s'il entend toujours répéter ses aveux au commissaire Prudhomme. Sur sa réponse affirmative, il va prévenir son chef qui, avec l'accord de Sébeille, se rend au palais vers 20 h 30.

Mais, entre temps, le vieil homme a déclaré à son nouveau gardien, Bocca, que la carabine appartient à son fils Gustave, que c'est celui-ci le coupable, et que, s'il s'accuse lui-même, c'est pour sauver l'honneur de ses petits-enfants. Avec le commissaire Prudhomme, il poursuit dans cette voie, lui demandant de lui faire un brouillon d'aveux, bien qu'il soit innocent. Le commissaire refuse et poursuit la conversation en l'orientant vers "la paillardise", sujet qui semble plaire à Gaston Dominici. Celui-ci dit qu'il a surveillé le coucher de la famille Drummond, qu'il s'est approché de la femme pour tenter des attouchements, que le mari est intervenu, saisissant l'arme par l'extrêmité du canon pour la détourner, qu'un premier coup est parti, blessant l'Anglais à la main, qu'il a ensuite continué à tirer sur lui, puis sur sa femme, qu'il a manqué la fillette et qu'il lui a fracassé la tête à coups de crosse. Le commissaire Prudhomme appelle alors son collègue Sébeille qui dresse procès-verbal du récit que Gaston Dominici répète devant lui, ajoutant même que l'Anglaise consentait à ses attouchements.

Lorsque le juge Périès assisté du greffier Barras veut, à son tour, le lendemain dimanche 15 novembre, recueillir sa déclaration, le vieillard recommence à dire qu'il n'est pas le meurtrier de la famille Drummond mais qu'il s'accuse dans le seul but de sauver l'honneur de ses petits-enfants. Dans un deuxième temps, il revient au récit du crime commis par "paillardise" et même, le corsant, il déclare qu'ayant vu la femme se déhabiller, il s'est approché d'elle et qu'elle s'est donnée à lui, d'où la rixe avec le mari et le triple meurtre qui a suivi.

Le lundi 16 novembre, le juge Périès procède à la reconstitution du crime en présence d'une centaine de journalistes et d'un grand nombre de curieux. Gaston Dominici se prête de bonne grâce à cette opération, dans sa plus grande partie du moins. Il montre d'abord au juge l'endroit où il cachait sa carabine, dans une remise. Il se rend ensuite sur le lieu de stationnement de la voiture Hillman et s'allonge sur le sol, disant que c'est là qu'il a "possédé" l'anglaise. Il mime ensuite sa "bagarre" avec l'inspecteur représentant le mari qui cherche à le désarmer et montre comment, après l'avoir blessé à la main, il lui a tiré deux fois dessus tandis qu'il s'enfuyait à travers la route. Il se tourne alors vers l'emplacement où se trouvait la femme en expliquant qu'elle est "tombée sur place" lorsqu'il a tiré sur elle. Puis il indique que la fillette est sortie de la voiture et partie en courant vers la voie ferrée. Il court lui-même avec agilité après l'inspecteur qui la représente et mime un coup de fusil qu'il a tiré vers elle sans l'atteindre. Mais, en franchissant le pont au dessus du chemin de fer, il tente d'enjamber le parapet et de se jeter sur la voie, pour se suicider semble-t-il. Arrêté à temps, il est accompagné jusqu'à l'endroit où gisait Elisabeth. Arrivé là, il manifeste toutefois beaucoup de réticence pour montrer comment il l'a frappée, avant de faire mine de porter, avec sa canne, un coup à la tête du policier.

A l'issue de cette reconstitution, le juge l'inculpe du triple meurtre. Sur cette inculpation, il se borne à déclarer qu'il confirme ses déclarations précédentes, ajoutant seulement qu'il a agi dans un moment de folie.

A nouveau interrogé par le juge Périès, le 7 décembre, en présence de ses avocats, Gaston Dominici proteste de son innocence et déclare n'avoir avoué que par l'effet de la fatigue et sous la pression des policiers.

Gustave maintient ses accusations contre son père les 5, 17 et 28 décembre, en variant toutefois sur les circonstances dans lesquelles il a recueilli ses confidences..

Interrogée le 18 décembre, Yvette Dominici déclare pour sa part avoir entendu des cris et six à sept coups de feu dans la nuit du 4 au 5 août 1952. Quelque instants plus tard, Gustave est sorti de leur chambre. En revenant, il lui a confié qu'il avait rencontré dans la cour son père, abattu comme un homme ivre, disant "qu'il avait tué".

Le 30 décembre à 10 h, Gaston renouvelle ses dénégations. A 11 h 25, le juge Périès le confronte avec ses fils. Gustave rétracte les accusations portées contre son père; Clovis maintient les siennes. Entendu une seconde fois à 18 h 15 hors la présence de son père, Gustave déclare qu'il n'a pas eu le courage de répéter ses accusations devant lui, mais qu'il est vrai que Gaston lui a dit, le 5 août 1952 vers 2 h du matin, dans la cour de la ferme, être l'auteur du meurtre, et qu'il a ensuite constaté la disparition de la carabine cachée dans la remise.


1954

Le 19 janvier 1954, Gustave Dominici adresse à son père emprisonné une lettre dans laquelle il semble le tenir pour innocent. Interrogé à ce sujet, le 4 février, par le juge Périès, il déclare l'avoir, en effet, accusé à tort, par lassitude, sous la pression des policiers. Il explique que, depuis lors, il est soumis au harcèlement de sa famille, de sorte qu'il ne sait plus où il en est. Confronté avec Clovis, il fait à nouveau volte-face et dit qu'en retirant ses accusations, il vient de mentir. Mais, lorsqu'il rencontre des journalistes, il leur affirme que Gaston est innocent.

Le 23 février, devant le juge, il maintient ses accusations contre son père. Il reconnaît qu'il a raconté à sa famille que Clovis les avait portées avant lui, le 13 novembre 1953 et qu'il s'était laissé influencer par son frère. Il les nuance toutefois en précisant que, lorsqu'il lui a parlé, dans la nuit du crime, Gaston devait être pris de boisson. Il conclut que, si son père se proclame innocent, c'est qu'il doit l'être.

Le 25 février, Gaston Dominici jette la suspicion sur son petit-fils Roger Perrin auquel la carabine américaine pourrait avoir été prêtée par son oncle Clovis qui en aurait été le vrai propriétaire.

Le juge Périès poursuit son instruction, confiant au commissaire Sébeille diverses vérifications de détail et accomplissant les différents actes que nécessite une procédure criminelle. A l'issue de cette instruction, Gaston Dominici est renvoyé devant la cour d'assises des Basses-Alpes.

Les débats s'ouvrent à Digne le 17 novembre 1954. La présidence de la cour d'assises est assurée par un conseiller de la cour d'appel d'Aix, Marcel Bousquet. Ses deux assesseurs sont le conseiller Roger Combas et le juge André Debeaurain, et les neuf jurés: A. Girard, de Mirabeau, J. Ventre, de Colmars, Alincourt, de Château-Arnoux, D. Sube, de Pierrerue, J. Martin, de Ste Tulle, M. Bernard, de Saumane, P. Auzet, des Dourbes, J.-E et D. Ailhaud, de Villemus. L'accusation est soutenue par Calixte Rozan, substitut général à la cour d'Aix et Louis Sabatier, procureur de la République à Digne. Mme Wilbraham, mère de Lady Ann Drummond, partie-civile, est représentée par Mes Claude Delorme, avocat à Marseille et Charles Tartanson, avocat à Digne. Gaston Dominici est défendu par quatre avocats: Mes Emile Pollak et Pierre Charrier, de Marseille, et Mes Léon et Bernard Charles-Alfred, de Digne. De très nombreux journalistes sont présents, ainsi que des personnalités du monde littéraire, telles que Jean Giono et Armand Salacrou. Le public ne peut être que partiellement admis dans la salle d'audience, trop petite, et occupe les abords du palais de justice.

La cour d'assises siège durant douze jours. Les débats y sont houleux, Gaston proclame son innocence. Honni par toute sa famille, Clovis la conteste. Gustave soutient son père, mais trop mollement au gré de celui-ci qui l'interpelle avec véhémence, l'adjurant de dire la vérité et laissant entendre qu'il se trouve en prison à sa place. Gaston fait également peser sa suspicion sur son fils Clovis et son petit-fils Roger Perrin, mais sans précision. Yvette cesse de charger sou beau-père.

Le 28 novembre, Gaston Dominici est déclaré coupable du triple crime et condamné à mort.

Sous le coup de ce verdict, il fait part à l'un de ses défenseurs, Me Léon Charles-Alfred, d'une conversation qu'il dit avoir surprise entre Gustave et Yvette dans les jours qui ont suivi le drame. Aux termes de celle-ci, Roger Perrin aurait aidé Gustave à transporter Elisabeth.

Les avocats de Gaston Dominici transmettent cet élément d'appréciation au ministre de la justice. Celui-ci fait d'abord interroger le condamné par un magistrat, le substitut Joseph Oddou, devant qui il confirme ses dires. Une mission d'information est alors confiée à deux policiers parisiens, le commissaire divisionnaire Chenevier et le commissaire principal Gillard, de la direction des services de police judiciaire.

Les deux commissaires entendent Gaston Dominici les 19 et 20 décembre 1954, mais il varie beaucoup au cours de ce long entretien. Après avoir confirmé ses dires à Me Charles-Alfred et au substitut Oddou, il déclare avoir vu lui-même Gustave et Roger transporter la petite Elisabeth, puis il se rétracte, revenant à la conversation surprise.

1955

Au vu de ces déclarations, le ministre estime nécessaire de prescrire une nouvelle instruction. Le juge Roger Périès est nommé à Marseille, selon son désir, et remplacé par un juge suppléant de Toulon, Pierre Carrias, lui-même nommé juge d'instruction à Digne.

La nouvelle information est ouverte le 23 février 1955, contre X..., du chef de complicité d'homicides volontaires.

Le juge Carrias procède personnellement à certains actes d'instruction, tels que la confrontation du commissaire Sébeille et de Gustave Dominici, au cours de laquelle ce dernier mime la scène au cours de laquelle il a accusé son père en pleurant sur l'épaule de Sébeille. Mais aussi, selon le voeu du ministre de la justice, le juge délivre aux commissaires Chenevier et Gillard des commissions rogatoires en vertu desquelles ceux-ci se livrent à des investigations approfondies, entendant de nombreux témoins à qui ils posent un très grand nombre de questions préparées selon un plan soigneusement mûri. Quant à Gaston Dominici, détenu à la prison des Baumettes, il est interrogé et confronté, aussi souvent que nécessaire, par le juge d'instruction Jacques Batigne, du tribunal de Marseille.

Les commissaires Chenevier et Gillard accomplissent durant plusieurs mois un travail considérable en vue d'identifier et de confondre un ou plusieurs complices du triple meurtre.

Après 1955

Ils terminent ce travail au début de 1956 et en exposent les résultats dans un volumineux rapport en date du 15 février. Ils déclarent, en conclusion de leur enquête, penser que Gustave Dominici est l'auteur du meurtre des époux Drummond, sans cependant que la preuve irréfutable en soit apportée. Ils ajoutent que, de toutes façons, et celà dans les limites les plus reculées de l'hypothèse la plus favorable, Gustave Dominici est au moins co-auteur ou complice des deux derniers meurtres. Ils considèrent que la poursuite de l'instruction judiciaire devrait permettre de déterminer sa juste part de sa responsabilité, et qu'il en est de même pour Roger Perrin.

Les soupçons ainsi formulés contre Gustave Dominici et Roger Perrin apparaissent trop peu précis pour étayer des inculpations. Aucun élément vraiment nouveau n'est fourni contre Gustave dont l'attitude suspecte et la volonté évidente d'entraver l'enquête sont connues depuis longtemps, et ne peuvent s'expliquer que par des hypothèses n'impliquant pas nécessairement sa responsabilité personnelle. Quant à Roger, rien de solide n'est avancé contre lui. Après quelques ultimes vérifications, une ordonnance de non-lieu qui clôture la seconde instruction concernant le triple crime de Lurs est rendue le 13 novembre 1956 par le juge Carrias.

En 1957, le président de la République René Coty commue la peine de mort de Gaston Dominici en travaux forcés à perpétuité. Trois ans plus tard, en 1960, le général de Gaulle lui accorde sa grâce complète, et il recouvre la liberté. Le patriarche de la Grand'Terre meurt à Digne en 1965, âgé de 88 ans. Malgré les efforts de la famille Dominici, assistée d'éminents avocats, aucune demande de révision ne connaît le succès.

Sources

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