La torture pendant la guerre d'Algérie

La torture pendant la guerre d'Algérie a été pratiquée sur les populations algérienne et française par les forces coloniales (l'armée française, ses supplétifs harkis, l'OAS, les barbouzes, les forces de police et des colons eux-mêmes) dans des proportions qui, selon l'historien Pierre Vidal-Naquet, concerneraient des centaines de milliers d'Algériens. Estimation confirmée depuis par la thèse de doctorat de l'historienne Raphaëlle Branche.



Les précédents coloniaux de l'usage de la torture

Depuis la conquête coloniale la torture est un procédé courant des forces de l'ordre en Algérie qui l'utilisent pour terroriser les populations autochtones. Cette pratique qui a été utilisée tout au long de la présence coloniale en Algérie, d'abord pour obtenir des informations sur les emplacements de silos à grains lors de la conquête coloniale, puis pour briser les grèves, meurtrir des suspects, instruire les affaires pénales les plus ordinaires et terroriser les indigènes s'inscrivait avant tout dans une démarche de haine et de déshumanisation.


La mise en place de la torture comme arme systématique

Dès 1949, le gouverneur général Naegelen rédige une circulaire interdisant l'usage de la torture et des sévices par les services de police, mais ne parvient pas à se faire obéir. Jusqu'en 1955, l'armée est indemne de ces accusations. Utilisée en Indochine, la torture devient progressivement une arme de guerre à part entière, théorisée et légitimée dans le cadre d'une doctrine de la « guerre contre-révolutionnaire », en particulier par le colonel Trinquier, le capitaine Paul-Alain Léger, le colonel Marcel Bigeard et le général Jacques Massu en tant que moyen de poursuivre une guerre non conventionnelle, où l'adversaire se dérobe aux catégories classiques du droit de la guerre (combattant, civil), se dissimulant dans la population. Celui-ci est assimilé à un « terroriste », « cas » encore plus « grave » que celui du « franc-tireur » ou du « guérillero ».


L'usage du renseignement et de la « guerre psychologique » sera promu au rang d'une arme de guerre comme les autres. Ainsi, la création des 5es bureaux, en août 1957, entérine « l'inclusion de l'arme psychologique dans la structure organique des armées ». 

De fait, avec la ténacité du colonel Lacheroy, « l'arme psychologique tend à se muer en un outil politique entièrement dédié à la cause de l'Algérie française, entraînant de fait la politisation d'une partie des cadres militaires ». La plupart des officiers travaillant dans l'action psychologique participeront au putsch des généraux, ou le soutiendront fortement, avant de rejoindre l'OAS, dont ils inspireront les méthodes. L'autonomie accordée par le pouvoir politique aux militaires se retourne ainsi, de fait, contre l'Etat lui-même.


L'officialisation de la « guerre contre-révolutionnaire »

Le 1er juillet 1955 - soit un mois et demi avant l’insurrection du Constantinois du 20 août, considérée par de nombreux historiens comme le vrai début de la guerre d’Algérie - le Ministre de l'Intérieur Maurice Bourgès-Maunoury, fervent adepte de la théorie de la « guerre contre-révolutionnaire » du colonel Lacheroy et le Ministre de la Défense, le général Koenig, contresignent l'« instruction n° 11 », qui a recueilli « la pleine adhésion du gouvernement » et qui est diffusée dans tous les régiments français d’Algérie. Celle-ci stipule que « la lutte doit être plus policière que militaire (…) Le feu doit être ouvert sur tout suspect qui tente de s’enfuir (…) Les moyens les plus brutaux doivent être employés sans délai (…) Il faut rechercher le succès par tous les moyens. »


Aveux du général Massu

La torture en Algérie fut évoquée, entre autres, par le chef militaire d'Alger, le général Jacques Massu dans son ouvrage La vraie bataille d'Alger publié en 1972. En 2000, lors d'un entretien donné au quotidien Le Monde du 21 juin 2000, il déclara que « le principe de la torture était accepté ; cette action, assurément répréhensible, était couverte, voire ordonnée, par les autorités civiles, qui étaient parfaitement au courant ». Il ajoute : « J'ai dit et reconnu que la torture avait été généralisée en Algérie (...) On aurait dû faire autrement, c'est surtout à cela que je pense. Mais quoi, comment? Je ne sais pas. Il aurait fallu chercher; tenter de trouver. On n'a malheureusement pas réussi, ni Salan, ni Allard, ni moi, ni personne. ». Cette déclaration fait écho à l'accusation de Lila Ighilahriz, militante algérienne torturée en 1957 à Alger, devenue psychologue.


En 2000, elle accusa le général Massu, et le général (colonel à l'époque) Bigeard, d'avoir laissé le champ libre à la torture en Algérie. Massu le reconnut, mais Bigeard réfuta l'accusation.

Selon les récentes interview d'un officier français, Paul Aussaresses qui ne regrette rien, le général Massu était au courant chaque jour, de la liste des prisonniers passés à la question, ainsi que des « accidents » de parcours. Poursuivi par la Ligue des Droits de l'Homme pour "apologie de crimes de guerre", Aussaresses a été condamné à 7 500 euros d'amende par la 17e chambre correctionnel du TGI de Paris, les éditeurs Plon et Perrin ont été condamnés à 15 000 euros d'amende chacun s'agissant du livre "Services spéciaux, Algérie 1955-1957 : Mon témoignage sur la torture". Ce jugement a été confirmé en appel en avril 2003. La cour de cassation a rejeté le pourvoi en décembre 2004. En effet, le général justifiait à plusieurs reprises dans ce livre l'emploi de la torture qui permettrait de sauver des vies innocentes en poussant les terroristes présumés à révéler les détails de leurs projets et leurs complices. Le Président de la République a demandé que soit retiré à l'officier sa légion d'honneur en condamnant ses propos comme inadmissibles.


En revanche, le général Aussaresses avait fait l'objet de plaintes pour les crimes de tortures qu'il avait reconnus dans son livre. Une autre procédure avait été ouverte mais la Cour de Cassation a rejeté, les poursuites intentées contre le général pour les crimes de tortures eux-mêmes, amnistiés depuis.

Ouvrages publiés pendant la guerre

La torture pendant la guerre d'Algérie est notamment connue grâce au témoignage de Robert Bonnaud, puis à celui d'un ancien torturé, directeur d'Alger Républicain : Henri Alleg. Henri Alleg publia son témoignage sous le titre La Question (Minuit, 1958). Avec La Gangrène de Bachir Boumaza, paru la même année aussi chez le même éditeur, l'ouvrage fut immédiatement censuré. Toutes les méthodes de torture (gégène, eau, paillasse barbelée, sérum de vérité, arrachage d'ongles, brutalité, privation de sommeil, poivre dans le vagin etc…) y sont détaillées. Cet ouvrage fut censuré par le gouvernement, car mettant en cause l'armée et ses méthodes, la faisant apparaître comme la nouvelle Gestapo d'Algérie.


Les tortures sont également évoquées au procès de Djamila Boupacha, militante de l'ALN, défendue par l'avocate Gisèle Halimi. Le ministère intervient pour que les militaires français soient mis hors de cause.

Un film, mis en scène par Laurent Heynemann en 1977, reprend l'intégralité du livre d'Henri Alleg et revient sur l'affaire Audin.

En 1959, cinq Algériens publient La Gangrène, ouvrage dénonçant les tortures pratiquées au siège de la DST, à Paris. Le livre est interdit.


En avril 1961, le livre Les égorgeurs de l'appelé du contingent Benoist Rey publié une première fois aux Éditions de Minuit, qui décrit sans ambages « le quotidien de meurtres, de viols, de pillages, d'incendies, de destructions, de tortures, de sadisme, d'imbécillité... d'une armée composée d'engagés et... d'appelés », est saisi dès sa sortie. Comme d'autres témoignages, ce livre a alors été censuré. Benoist Rey dénonce que « la torture est en Algérie un moyen de répression usuel, systématique, officiel et massif. »

Impunité des tortionnaires

Des lois d'amnisties ont été promulguées après la guerre. Une loi spécifique est votée pour amnistier les responsables de l'affaire Audin. Après les doubles lois de 1962, les seuls actes pouvant être poursuivis sont ceux de torture commis contre des membres de l'OAS.


Dans son arrêt du 17 juin 2003, la Cour de cassation considère qu'il n'y a pas eu de crime contre l'humanité pendant la guerre d'Algérie. Elle écarte ainsi la possibilité de poursuites contre le général Paul Aussaresses. Sans nier les faits de torture, ni leur qualification de crime contre l'humanité au sens du code pénal actuel (entré en vigueur le 1er mars 1994), la jurisprudence actuelle écarte la qualification de crime contre l'humanité au sens du code pénal de l'époque : dès lors que les événements sont antérieurs au 1er mars 1994, seuls les faits commis par les puissances de l'Axe sont susceptibles de revêtir la qualification de crime contre l'humanité.

Des associations de défense des droits de l'homme comme la FIDH demandent un revirement.


En 1982, sous le gouvernement Mauroy, dans la continuité des amnisties antérieures, intervient l’« ultime normalisation administrative ».

La loi du 23 février 2005 (dont seul l'article 4 a été retiré) accorde une « indemnité forfaitaire » et non imposable aux « personnes (…) ayant fait l’objet, en relation directe avec les événements d’Algérie (…), de condamnations ou de sanctions amnistiées » (art.13). Athanase Georgopoulos, ancien de l'OAS réfugié en Espagne avant de revenir en France, a été nommé à la Commission chargée d'implémenter ces indemnisations (arrêté du 29 décembre 2005).

Le général de Bollardière, sanctionné de soixante jours d'arrêts de forteresse pour avoir dénoncé la torture, n'a pas été réhabilité. Il fut à l'époque le seul officier supérieur français à condamner la torture.


Le cas de l'OAS

L'organisation terroriste OAS a eu recours à la torture. Ses membres ont également été victimes de torture de la part du pouvoir gaulliste. Comme le dénonce très tôt l'historien Pierre Vidal Naquet, les tortures perpétrées par les barbouzes étaient psychologiques et surtout physiques: coups, étranglements, électricité, ongles arrachés, yeux crevés, brûlures. L'euphémisme « triturer » est employé au lieu de « torturer ».

Les tortionnaires utilisaient la « chaise électrique », fauteuil dont le dossier et le siège étaient remplacés par deux ressors à boudin et un treillis métallique. Le courant était ensuite branché entre le siège et le dossier et réglée sur 110, 220 volts, et pouvait aller jusqu'à 500 volts.



Tortures par l'ALN

26 Janvier 1957, SAID AISSA OULD LAID refusait de quitter son travail chez un fermier européen. Il a été mutilé puis assassiné. L'ALN (branche armée du FLN) employa des méthodes de torture semblables à celles de l'armée française, bien qu'en quantité bien moindre: supplétifs musulmans ou civils des mechtas fidèles à la France égorgés, émasculés, femmes éventrées, et massacre d’un village MNA de Messali Hadj (le massacre de Melouza, où 300 personnes trouvent la mort).

Le FLN avait décrété l’interdiction de fumer. Voilà ce qui arrivait aux contrevenants. Les tortures visaient à entretenir un climat de terreur, plutôt qu'à obtenir ponctuellement des renseignements. Le numéro spécial N°61 de 1957 de la revue Algérie Médicale, organe officiel de la société médicale des hôpitaux d'Alger et de la Fédération des Sciences médicales de l'Afrique du Nord, présente les efforts du corps médical français en Algérie pour réparer les mutilations faites au visage contre les Musulmans n'ayant pas suivi les consignes du FLN. D'après les sources militaires françaises de 1954 au 19 mars 1962, il y eut 16 378 musulmans tués par le FLN et 13 296 disparus. En 1962, s'y sont ajoutés des dizaines de milliers de Harkis tués après avoir été désarmés et abandonnés par l'armée française.

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