Le Projet Manhattan


Projet Manhattan est le nom de code du projet de recherche mené pendant la Seconde Guerre mondiale, qui permit aux États-Unis, assistés par le Royaume-Uni, le Canada et des chercheurs européens, de réaliser la première bombe A de l'histoire en 1945.




Sous la direction du physicien Robert Oppenheimer (à droite) et du général Leslie Groves (à gauche), le projet fut lancé en 1942 dans le plus grand secret, suite à une lettre de Leó Szilárd co-signée par Albert Einstein au président Roosevelt selon laquelle l'Allemagne nazie travaillait sur un projet équivalent.
Le projet Manhattan conduisit à la conception, la production et l'explosion de trois bombes atomiques. La première, une bombe au plutonium (appelée « Gadget » ; « Trinity » étant le nom de code du premier essai atomique de l'histoire), fut testée le 16 juillet 1945 dans le désert près d'Alamogordo dans l'état du Nouveau-Mexique. Les deux suivantes, l'une à l'uranium et l'autre au plutonium (appelées Little Boy et Fat Man), furent larguées respectivement sur les villes japonaises de Hiroshima le 6 août 1945 et Nagasaki le 9 août. En 1945, le projet employait plus de 130 000 personnes.


Les principaux sites du Projet Manhattan




















Bien que plus de trente sites de recherche et de production aient été impliqués, le projet Manhattan fut largement mis en œuvre dans trois cités scientifiques dont l’existence fut gardée secrète jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale : Hanford dans l’État de Washington, Los Alamos dans l’État du Nouveau Mexique et Oak Ridge dans l’État du Tennessee.


Origines du projet

Durant l’entre-deux-guerres les États-Unis prirent la tête de la recherche en physique nucléaire, grâce aux efforts des physiciens locaux et des immigrants récents. Ces scientifiques avaient développé de nouveaux instruments, comme le cyclotron et d’autres accélérateurs de particules, qui permirent de découvrir de nouveaux éléments, dont les radioisotopes comme le carbone 14.

Le 16 janvier 1939, Niels Bohr arriva du Danemark aux États-Unis pour passer plusieurs mois à l’université de Princeton. Juste avant son départ du Danemark, deux de ses collègues, Lise Meitner et Otto Robert Frisch (deux réfugiés d’Allemagne), lui avaient fait part de leur hypothèse selon laquelle l’absorption d’un neutron par un noyau d’uranium provoque parfois la séparation de celui-ci en deux parties approximativement égales et la libération d’une énorme quantité d’énergie, un phénomène qu’ils appelaient « fission nucléaire ». Cette hypothèse se fondait sur l’importante découverte d'Otto Hahn et Fritz Strassmann (publiée dans Naturwissenschaften au début du mois de janvier 1939) qui démontrait que le bombardement d’uranium par des neutrons produisait un isotope du baryum. Bohr avait promis de garder secrète l’interprétation de Meitner et Frisch jusqu’à ce qu’ils publient un article afin de leur assurer la priorité, mais à bord du bateau il en parla avec Léon Rosenfeld, en oubliant de lui demander de respecter le secret. Dès son arrivée, Rosenfeld en parla à tous les physiciens de Princeton, et la nouvelle se répandit à d’autres comme le physicien d’origine italienne Enrico Fermi de l’université Columbia. Les conversations entre Fermi, John R. Dunning et G. B. Pegram débouchèrent sur la recherche à Columbia des rayonnements ionisants produits par les fragments du noyau d’uranium.




Le 26 janvier 1939, se réunit une conférence de physique théorique à Washington D.C., organisée conjointement par l’université George Washington et la Carnegie Institution de Washington. Fermi quitta New York pour participer à cette conférence avant le lancement des expériences de fission à Columbia. Bohr et Fermi discutèrent du problème de la fission, Fermi mentionnant en particulier la possibilité que des neutrons puissent être émis durant le processus. Bien que ce ne soit qu’une hypothèse, ses conséquences c’est-à-dire la possibilité d’une réaction nucléaire en chaîne étaient évidentes.

Lettre d'Einstein à Roosevelt

Les physiciens nucléaires Leó Szilárd, Edward Teller et Eugene Wigner (tous les trois des réfugiés juifs hongrois) étaient convaincus que l’énergie libérée par la fission nucléaire pouvait être utilisée dans des bombes par l'Allemagne nazie. Ils persuadèrent Albert Einstein, l’un des plus célèbres physiciens au monde et lui aussi un réfugié juif, d’avertir de ce danger le Président américain Franklin Roosevelt dans une lettre datée du 2 août 1939 dont Szilárd fit le brouillon. La lettre fait état de la possibilité de créer des bombes d'une puissance encore inconnue?: « des bombes d'un nouveau type et extrêmement puissantes pourraient être assemblées. »

Le texte laisse présager que la Belgique serait un précieux allié pour obtenir de grandes quantités d'uranium : « les sources les plus importantes se trouvent au Congo belge. »

Einstein demande l'appui de Roosevelt, pour que le gouvernement « porte une attention particulière à la préservation de l'approvisionnement en uranium » et qu'il soutienne la recherche sur ce domaine « qui n'est à présent accompli que dans les limites des budgets des laboratoires universitaires ».

Il fait part de ses craintes au sujet de l'Allemagne qui a mis l'embargo sur les ventes d'uranium tchécoslovaque, et où « le fils du sous-secrétaire d'État allemand, von Weizsäcker, est attaché à l'Institut du Kaiser Wilheim » qui travaille sur ces problèmes.

La réponse de Roosevelt fut d’encourager des recherches supplémentaires sur les implications militaires de la fission nucléaire. Après le bombardement d'Hiroshima, Einstein déclara regretter amèrement d’avoir écrit cette lettre (I could burn my fingers that I wrote that first letter to Roosevelt).

La marine de guerre américaine dut accorder une première subvention de 6 000 USD, gérée par le Comité consultatif pour l'uranium, pour des expériences sur l’énergie nucléaire, ce qui donna ensuite naissance au projet Manhattan.



Projet uranium

Roosevelt créa le Comité Uranium présidé par le chef du National Bureau of Standards Lyman Briggs. Le Comité lança de petits programmes de recherche en 1939 au Naval Research Laboratory à Washington, où le physicien Philip Abelson travailla à la séparation isotopique de l’uranium. À l’université Columbia, Fermi construisit un prototype de réacteur nucléaire aussi appelé « pile atomique » en testant diverses configurations de graphite et d’uranium. Ces empilements de plusieurs tonnes de minerai et de matériaux permettaient de faire des tests de réactions en chaîne et de vérifier les premières hypothèses concernant les phénomènes physiques en jeu.

S-1 Committee

Le projet uranium n’avait pas beaucoup progressé au printemps 1941, quand parvinrent d’Angleterre les résultats des calculs d'Otto Frisch et Rudolf Peierls. Un rapport préparé par le MAUD Committee, un sous comité du Committee for the Scientific Survey of Air Warfare dirigé par G.P. Thomson, professeur de physique à Imperial College (Londres), démontrait qu’une très faible quantité d’uranium 235, l’isotope fissile de l’uranium, pouvait provoquer une explosion équivalente à plusieurs milliers de tonnes de TNT.

La National Academy of Sciences incita à un effort total pour construire l’arme atomique et le 9 octobre 1941, Roosevelt autorisa son développement. Le 6 décembre 1941, soit un jour avant l’attaque sur Pearl Harbor, Vannevar Bush créa un comité spécial (S-1 Committee) pour guider cet effort.



Conception des différents modèles de bombes possibles

Au printemps 1942, Oppenheimer et Robert Serber de l’université de l'Illinois travaillèrent sur le problème de la diffusion des neutrons. Afin de discuter de ce travail et de la théorie générale des réactions de fission, Oppenheimer réunit un séminaire d’été à Berkeley en juin 1942. Les théoriciens Hans Bethe, John Van Vleck, Edward Teller, Felix Bloch, Emil Konopinski, Robert Serber, Stanley S. Frankel et Eldred C. Nelson (les trois derniers étaient d’anciens étudiants d'Oppenheimer) conclurent qu’une bombe à fission était réalisable.

Ce séminaire d’été, dont les résultats furent plus tard résumés par Serber dans The Los Alamos Primer (LA-1 online), fournit les premières bases théoriques à la conception de la bombe atomique ainsi que l’idée de la bombe H.

Passage à l’échelle industrielle

Le besoin d’une meilleure coordination était clair. En septembre 1942, les difficultés rencontrées en menant les études préliminaires sur l’arme atomique dans des universités dispersées à travers le pays plaidaient en faveur d’un laboratoire dédié uniquement à cet effet. Ce besoin était néanmoins éclipsé par la demande d’usines pour produire l’uranium 235 et le plutonium.

Des débuts laborieux

Bush, à la tête de l'OSRD, un organisme civil, demanda au Président Roosevelt d’attribuer à l’armée les opérations à grande échelle en lien avec le projet d’arme atomique en croissance rapide. Roosevelt décida que l’armée coopérerait à la construction des usines de production d’uranium 235 et de plutonium. Le Corps des ingénieurs de l’armée choisit le colonel James Marshall pour superviser cette construction.

Le « projet Manhattan »

À l’été 1942, le colonel Leslie Groves était adjoint à la construction du Corps des ingénieurs de l’armée et avait supervisé la construction du Pentagone, le plus grand immeuble de bureaux au monde. Souhaitant une mission outre-mer, il protesta vigoureusement quand Somervell le nomma à la tête du projet d’arme atomique. Ses objections furent rejetées et Groves dut se résigner à diriger un projet qui lui paraissait avoir peu de chances de réussir.


Sa première décision fut de rebaptiser le projet The Manhattan District. Ce nom venait de l’habitude qu’avait le Corps des ingénieurs de l’armée de nommer les districts d’après leur ville quartier général (le quartier général de Marshall était à New York). En même temps, Groves fut promu brigadier général, un rang jugé nécessaire pour traiter avec les plus importants scientifiques impliqués dans le projet.

Une semaine après sa nomination, Groves avait résolu les problèmes les plus urgents du projet Manhattan. Sa manière énergique et efficace devient rapidement un peu trop familière aux scientifiques.

Le premier obstacle scientifique majeur fut levé le 2 décembre 1942 au-dessous des gradins de Stagg Field à l’université de Chicago, où une équipe menée par Enrico Fermi démarra la première réaction nucléaire en chaîne auto-entretenue. Un coup de téléphone codé de Compton disant : « Le navigateur italien (c’est-à-dire Fermi) a débarqué sur le nouveau monde, les indigènes sont amicaux » à Conant à Washington, DC, annonça le succès de l’expérience.

Deux voies différentes vers la bombe

Le principal problème industriel était de produire suffisamment de matière fissile, suffisamment pure. Deux projets parallèles furent entrepris : le premier conduisit à une bombe à uranium tandis que le second produisit deux bombes au plutonium.


La bombe lancée sur Hiroshima, Little Boy (en haut), était faite d’uranium 235. 

La bombe utilisée lors du premier test Trinity et la bombe lancée sur Nagasaki, Fat Man (en bas), étaient faites de plutonium 239 .





Premier test

Le premier test d'une bombe au plutonium eut lieu le 16 juillet 1945 dans le désert de Jornado del Muerto, dans l’État du Nouveau-Mexique. Oppenheimer appela « Trinity » la tour porteuse de la bombe Gadget. Ce nom est tiré d'un poème de John Donne. Groves avait fait construire un caisson, surnommé « Jumbo », pour récupérer le plutonium au cas où l'explosion échouerait mais comme il apparut qu’un échec était peu probable, Jumbo fut placé à proximité de la tour pour mesurer l'impact de l'explosion.

L’explosion dégagea une force équivalente à 21 000 tonnes de TNT. En constatant la puissance phénoménale engendrée par la bombe (Jumbo resta intact mais Trinity fut rasée), Oppenheimer se rappela l'un de ses passages préférés d'un texte Sanskrit (le Bhagavad-Gita du dieu Shiva) : « Maintenant je suis Shiva, le destructeur des mondes ».

Plus prosaïquement, son adjoint Kenneth Bainbridge, responsable des essais répondra : « À partir de maintenant, nous sommes tous des fils de putes ».

Le projet Manhattan avait ainsi atteint son objectif dans le temps record de 2 ans, 3 mois, et 16 jours.

Aujourd'hui, le site de l'explosion expérimentale est marqué par un monolithe conique noir de silice, résultat de la fusion du sable sous l'effet de la chaleur provoquée par l'explosion.


Démantèlement du projet

Les Bombardements atomiques de Hiroshima (en haut) et Nagasaki (en bas) ont eu lieu les 6 et 9 août 1945. Les actes de capitulation du Japon, sont signés le 2 septembre, mettant officiellement fin à la Seconde Guerre mondiale. Deux autres essais nucléaires ont lieu durant l'été 1946, lors de l'opération Crossroads.

L‘Atomic Energy Act est signé le 1er août 1946, planifiant le transfert de l'ensemble des activités du projet Manhattan à la commission de l'énergie atomique des États-Unis. Le 1er janvier 1947 tous les travaux concernant l'énergie nucléaire sont transférées à la commission de l'énergie atomique. Le Manhattan Engineer District est démantelé le 15 août. Les activités du National Defense Research Committee et de l'Office of Scientific Research and Development sont transférées au Département de la Défense le 31 décembre 1947.

Le projet Manhattan représente, avec le développement du déchiffrement et du radar, une des grandes percées technologiques des États-Unis lors de la Seconde Guerre mondiale.

Des efforts similaires furent entrepris en URSS (sous la direction d'Igor Kourtchatov et s’appuyant sur les fuites de scientifiques de l’équipe de Los Alamos, Klaus Fuchs et Theodore Hall), en Allemagne (sous la direction de Werner Heisenberg) et au Japon.

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